Discussion Series: CorHaLiE


INTERPRÉTATIONS COMIQUES DES MÉTAPHORES D’EURIPIDE DANS LES GRENOUILLES D’ARISTOPHANE [1]

Euripide est une source d’inspiration majeure pour le projet comique d’Aristophane. Un examen attentif des paroles de Dionysos dans les vers 96-107 et 307-11 des Grenouilles permet de le comprendre. Le dieu utilise en effet des expressions empruntées à Euripide dont la teneur métaphorique non seulement matérialise verbalement des entités abstraites, mais va jusqu’à les présenter comme des éléments concrets, dotés d’une consistance solide. Au terme d’une analyse centrée sur les modalités de ces emprunts métaphoriques, sur le contrat interprétatif différent qui leur est réservé d’un genre à l’autre ainsi que sur l’effet comique de leur emploi dans la pièce d’Aristophane, on comprend que les métaphores d’Euripide contribuent à la création d’un monde fabuleux où l’abstrait, le concret et le banal se côtoient sans cesse et constituent un contrepoids à l’élévation morale et spirituelle, proposée par Eschyle.
Dans plusieurs comédies d’Aristophane la phraséologie qui est employée pour décrire le poète comique rappelle celle qui est utilisée pour parler des prérogatives d’Euripide et d’Eschyle [2] . À l’ingéniosité et la sophistication du poète comique (Nuées 547-8 : καινὰς ἰδέας… καὶ πᾶσας δεξιάς, Acharniens 629 : δεξιός), correspondent les atours sophistiqués des dramaturges tragiques (Grenouilles 1370 : οἱ δεξιοί). De même, là où Aristophane milite, à travers ses personnages, pour de nouvelles formes de comédie, pour une certaine habileté poétique (Nuées 520 : σοφός) ainsi qu’une aptitude à instruire la cité (Acharniens, 658 : διδάσκων), Euripide et Eschyle apparaissent également comme des dramaturges habiles (Grenouilles 896a: παρὰ σοφοῖν ἀνδροῖν), aux idées originales (Thesmophories 1130 : καινὰ προσφέρων σοφὰ), soucieux de donner les meilleurs conseils aux citoyens (Grenouilles 1056 : πάνυ δὴ δεῖ χρηστὰ λέγειν ἡμᾶς).
Dans les Grenouilles, les deux tragédiens sont les protagonistes principaux. Aristophane met en effet Euripide aux prises avec Eschyle dans un concours poétique dont le lauréat aurait la possibilité de revenir dans le monde des vivants. Cette confrontation permet au poète comique de nous livrer une critique subtile des qualités poétiques des deux tragédiens, et plus largement, un aperçu avisé de la réalité politique de son époque, marquée par des abus de la classe politique athénienne de la fin du Ve siècle. La présence de Dionysos en tant qu’arbitre du concours atténue ce qui pourrait paraître à première vue paradoxal, soit la présence dans une pièce comique de deux représentants d’un genre où l’excès de douleur était supposé provoquer les larmes du spectateur [3] . Etant le patron des concours théâtraux de comédie et de tragédie, Dionysos légitime la rencontre de deux genres dans la même pièce.
Le penchant d’Aristophane pour Eschyle est évident puisque Dionysos, descendu initialement dans les Enfers pour y chercher Euripide, décide finalement de ramener Eschyle avec lui [4] . Nous le savons, s’il choisit le poète martial, c’est parce que ses conseils moraux polarisés sur un retour aux valeurs hoplitiques et aux vieilles traditions athéniennes auront des conséquences bénéfiques pour la cité. La survie de la communauté entière dépend du sens de la responsabilité civique du poète [5] .
Euripide, en revanche, est présenté comme un poète dont les œuvres anti-militaristes sont susceptibles de compromettre la stabilité de la vie civique. Le nouvel ordre social qu’elles proposent, le monde individualiste, immoral et anti-héroïque qu’elles mettent en scène menacent l’ordre instauré par les hommes et risquent de ruiner complètement les fondements d’une cité déjà déliquescente. Cela dit, on ne saurait s’en tenir à cette vision négative du poète et accréditer par là une opposition trop stricte entre les deux tragédiens. Les qualités poétiques d’Euripide, vantées par Dionysos, nous dissuadent d’assimiler le poète tragique à une simple marionnette qui, confrontée à Eschyle, ne parviendrait pas à s’illustrer. À plusieurs reprises, ses vers sont cités et il est désiré par le dieu qui l’admire pour son habileté poétique.
Le but de la présente étude est de montrer qu’au-delà de l’admiration qu’il suscite, Euripide est une figure essentielle qui inspire le projet comique d’Aristophane. Trois métaphores du tragédien, citées par Dionysos au début de la pièce, suffiront pour dérouler le fil qui rattache le poète tragique au poète comique. Ce fil n’est autre que la capacité de rendre palpables et banales des entités invisibles, abstraites et intellectuelles. Pour le démontrer, je me pencherai d’abord sur la citation et la re-formulation par Aristophane des métaphores d’Euripide. Je m’attacherai ensuite à la définition des effets comiques d’une telle reprise. Je montrerai enfin que les Grenouilles radicalisent la tendance propre à Euripide de visualiser l’abstrait au point que les expressions métaphoriques employées dans la comédie s’incarnent, se matérialisent et contribuent à la création d’un monde fabuleux où l’intellectuel et le banal se côtoient sans cesse.

1. Citation et re-formulation des métaphores d’Euripide

Les vers 96–107 des Grenouilles mettent explicitement en évidence le goût prononcé de Dionysos pour la poésie d’Euripide. Le dieu explique à Héraclès qu’il descend aux Enfers pour rechercher et ramener avec lui le poète tragique. Voici comment il justifie son audacieuse entreprise :

ΔΙΟΝΥΣΟΣ :
Γόνιμον δὲ ποιητὴν ἂν οὐχ εὕροις ἔτι
ζητῶν ἄν, ὅστις ῥῆμα γενναῖ͂ον λάκοι.
ΗΡΑΚΛΗΣ :
Πῶς γόνιμον ;
ΔΙΟΝΥΣΟΣ :
Ὡδὶ γόνιμον, ὅστις φθέγξεται
τοιουτονί τι παρακεκινδυνευμένον,
“αἰθέρα Διὸς δώματιον” ἢ “χρόνου πόδα,”
ἢ “φρένα μὲν οὐκ ἐθέλουσαν ὀμόσαι καθ᾿ ἱερῶν,
γλῶτταν δ᾿ ἐπιορκήσασαν ἰδίᾳ τῆς φρενός.”
ΗΡΑΚΛΗΣ :
Σὲ δὲ ταῦτ᾿ ἀρέσκει ;
ΔΙΟΝΥΣΟΣ :
Μἀλλὰ πλεῖν ἢ μαίνομαι.
ΗΡΑΚΛΗΣ :
Ἦ μὴν κόβαλα γ᾿ ἐστίν, ὡς καὶ σοὶ δοκεῖ.
ΔΙΟΝΥΣΟΣ :
Μὴ τὸν ἐμὸν οἴκει νοῦν· ἔχεις γὰρ οἰκίαν.
ΗΡΑΚΛΗΣ :
Καὶ μὴν ἀτεχνῶς γε παμπόνηρα φαίνεται.
ΔΙΟΝΥΣΟΣ :
Δειπνεῖν με δίδασκε.
DIONYSOS :
Mais un poète fertile tu ne pourrais pas trouver en cherchant, qui fasse entendre une parole courageuse.
HÉRACLÈS :
Fertile comme quoi ?
DIONYSOS :
Fertile, comme qui prononcerait quelque expression aventureuse de ce genre : « l’Éther, chambre à coucher de Zeus » ou « le pied du temps » ou « l’esprit qui ne veut pas jurer sur les victimes, mais la langue parjure à l’écart de cet esprit. »
HÉRACLÈS :
Tu aimes toi ces choses-là ?
DIONYSOS :
Dis plutôt que j’en suis fou.
HÉRACLÈS :
En vérité, ce sont des jongleries, et c’est aussi ton avis.
DIONYSOS :
« Ne loge pas dans mon esprit, tu as une maison. »
HÉRACLÈS :
Eh bien, cela me paraît, sans qualité artistique et très mauvais.
DIONYSOS :
Apprends-moi comment on dîne.
(Trad. : H. Van Daele)

Aux yeux de Dionysos, la présence d’Euripide parmi les vivants s’avère nécessaire car il est un poète « fertile » (γόνιμος) au verbe « courageux » (γενναῖον) et « téméraire » (παρακεκινδυνευμένον). Pour illustrer les qualités du tragédien, il cite trois expressions de ce dernier. La première, αἰθέρα Διὸς δωμάτιον, « Éther, chambre à coucher de Zeus » est une variante de la phrase ὄμνυμι δ᾿ ἱερὸν αἰθέρ᾿, οἴκησιν Διός tirée de la Mélanippè d’Euripide, (« je jure par Éther sacré, demeure de Zeus ») [6] . La seconde, χρόνου πόδα, « le pied du temps », est une reprise des propos du chœur des Bacchantes lorsqu’il chante, au vers 888-90, l’infaillibilité de la puissance divine qui κρυπτεύουσι δὲ ποικίλως / δαρὸν χρόνου πόδα καὶ / θηρῶσιν τὸν ἄσεπτον (« dérobe par une lenteur artificieuse la marche du Temps à l’impie »). Le chœur signifie par là le courroux des dieux qui est sur le point de s’abattre sur Penthée. Quelques vers plus haut en effet (857-61), Dionysos avait exposé son intention de faire égorger le roi de Thèbes par sa propre mère [7] . La troisième expression, φρένα μὲν οὐκ ἐθέλουσαν ὀμόσαι καθ᾿ ἱερῶν, γλῶτταν δ᾿ ἐπιορκήσασαν ἰδίᾳ τῆς φρενὸς (« l’esprit qui ne veut pas jurer sur les victimes, mais la langue parjure à l’écart de cet esprit ») est une paraphrase du vers 612 de l’Hippolyte, ἡ γλῶσσ᾿ ὀμώμοχ᾿, ἡ δὲ φρὴν ἀνώμοτος (« ma langue a juré mais pas mon esprit »). Irrité par les révélations de la nourrice sur l’amour de Phèdre, Hippolyte fait comprendre à la vieille femme qu’il trahira peut-être le serment qu’il a pris de garder le silence sur la souffrance amoureuse de sa belle-mère.

Où résident la fertilité, le courage et la témérité de ces expressions ? Sont-elles la marque de la hardiesse (τόλμη) que requiert l’art de dénoncer les vices (εἴποι κακὰ πολλά) si caractéristique du poète comique ? Ou bien, pour reprendre les termes du chœur des Cavaliers, s’agit-il du courage (γενναίως) du poète valeureux (ἄξιος ποητής) qui ose dire (τολμᾶ… λέγειν) ce qui est juste (τὰ δίκαια) ? [8] Aucune de ces deux significations ne s’applique aux vers cités plus haut dans la mesure où il n’y a ni dénonciation de vices des citoyens, ni des mots exigeant un certain courage pour être prononcés.
Pour comprendre l’admiration du dieu face à de telles expressions, il convient de saisir d’abord ce qu’elles ont en commun. En fait, toutes les trois sont des métaphores car elles présupposent l’identité de deux signifiants et la non-identité de deux signifiés correspondants. Elles rapprochent en effet des termes issus de contextes différents et modifient ainsi leur contenu sémantique [9] . Dans l’expression αἰθέρα Διὸς δωμάτιον, l’emploi du terme « chambre à coucher » modifie le contenu sémantique du mot « Éther » puisqu’elle dote l’air d’une qualité qui semble éloignée de sa nature, la finitude. En effet, l’Éther est une substance sans fin comme le laisse entendre Cinésias dans les Oiseaux qui le décrit dépourvu de port (1400 : ἀλίμενον). Il en va de même des deux expressions suivantes. Dans la première, χρόνου πόδα, l’emploi du terme « pied » confère au « Temps » un attribut humain qui ne lui appartient pas et lui supprime sa qualité d’entité désincarnée. Dans la seconde, φρένα μὲν οὐκ ἐθέλουσαν ὀμόσαι καθ᾿ ἱερῶν, / γλῶτταν δ᾿ ἐπιορκήσασαν ἰδίᾳ τῆς φρενὸς, la personnification de la réflexion, fondée sur le rapprochement du substantif « pensée » et du verbe « prêter serment », dote cette dernière d’une capacité d’agir physiquement, étrangère à sa nature.
À cette première similitude entre les trois expressions, on doit ajouter une seconde. Ces métaphores rendent visibles, animées et concrètes des entités insensibles, abstraites ou intellectuelles comme le sont précisément l’Ether, le temps et la réflexion. On se situe ici dans un cas de figure plus complexe que les exemples fournis par Aristote à qui on doit la première définition de la métaphore. Dans le troisième livre de la Rhétorique, le philosophe montre que toute métaphore « fait voir », « peint », c’est-à-dire signifie les choses en actes et montre par là les choses inanimées comme animées [10] . Après avoir énuméré un certain nombre d’exemples tirés des poèmes d’Homère, il explique qu’« en tous ces passages c’est la vie prêtée à un objet inanimé qui signifie l’acte » [11] . Or, les sujets des métaphores qu’il cite ont un référent doté de contours perceptibles. Il en va ainsi en effet du rocher qui « sans honte roulait dans la plaine », de la flèche qui « prit son vol », « brûlant de s’envoler », des traits qui « se fichent en terre… désireux de se repaître de chair blanche » et de la lance qui « traverse sa poitrine avec rage » [12] . En revanche, les métaphores d’Euripide, citées ou paraphrasées par Dionysos, visualisent ce qui échappe à une saisie par les sens. L’Éther, substance invisible par définition, est présenté comme un espace clos, une chambre à coucher, lieu familier susceptible d’être représenté. Le Temps, entité impalpable, est visualisé puisqu’il est doté d’une forme extérieure. La pensée, enfin, apparaît comme une entité concrète puisqu’elle est susceptible de faire ce que l’homme grec faisait lorsqu’il prêtait serment, soit poser ses mains sur les victimes sacrifiées. Juxtaposer des lieux ou des objets sacrés à la réflexion confère à cette dernière une matérialité qu’elle n’a pas à l’origine.
Ne serait-ce pas là la spécificité de la fertilité et de la témérité reconnues à Euripide, soit sa tendance à donner corps à ce qui n’en a pas, à rendre imagé ce qui est imperceptible ? Une telle affirmation me paraît légitime, d’autant plus que Dionysos suit l’exemple du tragédien qu’il admire : il rend encore plus palpables les entités abstraites dont il est question en modifiant légèrement les métaphores initiales d’Euripide.
Au vers 101, le dieu emploie le terme δωμάτιον à la place de οἴκησιν, mentionné dans Mélanippè d’Euripide. S’il opte pour la « chambre à coucher » au lieu de « demeure », c’est sans doute pour faire de l’Ether un espace reconnaissable par tous. De même, la troisième phrase qu’il cite diffère de celle d’Hippolyte, puisque Dionysos ajoute l’expression καθ᾿ ἱερῶν. Par un tel ajout, le dieu intensifie la scène du serment prêté par la réflexion et la rend éloquente pour les spectateurs de l’époque, déjà au fait de rituels où des victimes sacrifiées gisent sur des autels et où ils prêtent des serments. L’investissement de Dionysos, et par son intermédiaire d’Aristophane, dans la création des métaphores qui visualisent et banalisent ce qui relève de l’intellect place le dieu et le poète comique dans la droite ligne d’Euripide, tel qu’il est présenté dans la comédie. La fertilité et la témérité du tragédien semblent constituer par conséquent des qualités qui caractérisent le dieu du théâtre ainsi que le poète qui l’a mis en scène. Voici donc un premier point commun entre Euripide et Aristophane.

2. Effets comiques des métaphores tragiques

Les expressions d’Euripide citées ou paraphrasées par Dionysos provoquent deux réactions différentes : l’incompréhension et l’approbation. D’un côté Héraclès s’insurge et proclame qu’elles sont des niaiseries, des paroles trompeuses (κόβαλα), douteuses (παμπόνηρα), sans qualités artistiques (ἀτεχνῶς). Le mot κόβαλον qu’il emploie signifie « astuce » et renvoie à quelque chose qui n’existe pas, dont l’objectif est de tromper. Aux vers 417-20 des Cavaliers, le Charcutier emploie ce terme pour se référer aux trucs dont il s’est servi pour gruger (ἐξηπατῶν) les cuisiniers [13] . Son astuce consistait à détourner leur attention en pointant dans le ciel une hirondelle imaginaire et se servir ainsi dans les plats en toute impunité. Par l’emploi de ce même mot, Héraclès insinue qu’il est incapable de comprendre les métaphores d’Euripide puisqu’il les tient pour des paroles sans substances. Son incompréhension est due vraisemblablement au fait qu’il les interprète au pied de la lettre ou qu’il ne connaît pas l’original d’où elles furent tirées. Il faut admettre que de telles expressions semblent insolites parce qu’elles sont citées sans aucune mention de leur contexte initial, imprécision qui empêche d’identifier leur sens [14] . Or le contexte est déterminant dans le processus interprétatif d’une figure ; en effet, il institue et remanie cette figure par la mise en rapport des classes lexicales qui y apparaissent et qui permettent d’attribuer aux composantes de la figure l’acception qui leur convient dans le contexte précis [15] . Prenons l’expression χρόνου πόδα tirée de l’Hippolyte. Dans le texte d’Euripide πούς est isotope avec « la marche » de la puissance divine qui « se meut » (ὁρμᾶται) et qui « suit à la piste » (θηρῶσι) l’impie. Etant donné cette isotopie générique dominante, le mot πούς n’est pas compris au sens usuel de « pied » mais au sens figuré de « marche ». Ainsi, dans les Grenouilles l’expression métaphorique qui est citée sans référence à la marche de la puissance divine incite le lecteur/auditeur novice à ne retenir que le sens usuel du mot et à ne voir là qu’une phrase surprenante, à la limite de l’absurdité. En revanche, chez Euripide aucun des interlocuteurs qui énonce ou entend les métaphores ne s’insurge contre leur absurdité.
Le héros bouffon manifeste ici une infériorité intellectuelle. Héraclès se croit en fait plus intelligent qu’il n’est puisqu’il remet en cause les qualités poétiques d’un tragédien que Dionysos adore, tout en présupposant que ce dernier est aussi de son avis. Or, l’ignorance de son manque de sensibilité intellectuelle relève d’une ignorance de soi, ce qui est ridicule. Rappelons-nous le Philèbe de Platon où le personnage ridicule (γελοῖον) est défini comme quelqu’un qui ignore ses propres biens, ses caractéristiques physiques ou ses vertus morales. De tels caractères sont régulièrement dépeints dans la comédie et provoquent le rire [16] . C’est sans doute pour se moquer de cette infériorité intellectuelle que Dionysos lui dit δειπνεῖν με δίδασκε (« apprends-moi comme on dîne ») en insinuant qu’Héraclès n’est capable que de manger ou apprendre à manger aux autres [17] . Le dieu met le doigt sur les capacités intellectuelles restreintes du héros et rappelle sa gloutonnerie légendaire, thème comique par excellence [18] .
Contrairement à Héraclès, Dionysos trouve les paroles d’Euripide excitantes au point de s’affoler (μαίνομαι). Son admiration est telle qu’aux vers 307-11, il les répète pour les incarner. Jaune de peur devant la perspective de devoir affronter Empousa, il se lamente sur son sort et cherche l’origine des maux qu’il endure [19] :

Οἴμοι τάλας, ὡς ὠχρίασ᾿ αὐτὴν ἰδών.
[…]
Οἴμοι, πόθεν μοι τὰ κακὰ ταυτὶ προσέπεσεν ;
Τίν᾿ αἰτιάσομαι θεῶν μ᾿ ἀπολλύναι ;
Αἰθέρα Διὸς δωμάτιον ἢ Χρόνου πόδα ;
Hélas, moi le malheureux, comme j’ai pâli à sa vue !
[…]
Hélas, d’où viennent ces maux qui m’assaillent ? Lequel des dieux accuserai-je de me perdre ? L’Éther, chambre à coucher de Zeus, ou le pied du temps ?

Dans cette nouvelle citation de deux métaphores d’Euripide, le dieu insinue que le tragédien est la vraie cause de ses malheurs. N’oublions pas qu’il est descendu dans les Enfers à cause de lui. Nous assistons à une nouvelle étape dans le processus interprétatif de la métaphore. Le « pied du temps » et l’« Éther, chambre à coucher de Zeus » sont divinisés, autrement dit ils sont incarnés. Mais c’est là le signe qu’il fabule, qu’il crée de toutes pièces des dieux inexistants. Le dieu et, par son intermédiaire, Aristophane se situent dans le sillage d’Euripide dont on sait qu’il avait la tendance à créer des dieux nouveaux. Aux vers 889-94 des Grenouilles, en effet, Euripide rejette les dieux traditionnels et prie ses propres dieux qui ne sont autres que l’Éther, sa nourriture, la tournure de sa langue, son intelligence et ses narines [20] . Dans cette perspective, le terme γόνιμος, « fertile », des vers 96-97 réservé à Euripide reçoit un nouvel éclairage. La fertilité du tragédien n’aurait pas le sens de la créativité poétique ni de la richesse intellectuelle, mais plutôt celui de la fécondité, de la capacité à engendrer des êtres nouveaux.

La fabulation du vers 311 débouche sur la construction du comique, même si les paroles de Dionysos, agrémentées par des termes tels que οἴμοι τάλας, δείσας et μ᾿ ἀπολλύναι ont un aspect tragique. En divinisant des entités telles que l’Ether et le pied du Temps qu’il tient capables cependant de lui faire du mal, Dionysos ne fait que rabaisser sa nature divine. Or un tel rabaissement peut provoquer le rire puisqu’il manque d’à-propos ; il est donc inadapté au personnage qui le subit. On le sait, donc, l’incompatibilité génère le rire. Dans les vers 1089-98 des Grenouilles, Dionysos rit aux éclats quand il voit un homme petit et gros qui s’apprête à courir aux Panathénées. Il en va de même dans le vers 559 de Lysistrata, lorsqu’un guerrier armé fait son marché. La scène provoque le rire tellement elle est ridicule. Dans les Grenouilles (45-46), enfin, porter la peau de lion d’Héraclès sur la crocote, vêtement de femme, fait rire aux éclats le héros invincible [21] . De la même manière, c’est un spectacle inattendu que de voir la peur de Dionysos face à des monstres qu’il ne voit pas et accuser pour cela des dieux insolites comme la chambre à coucher de Zeus et le pied du temps. En somme, l’exclamation de Dionysos et la peur qu’il affiche dans les vers 307-11 font de lui un personnage burlesque, un exemple représentatif de ce que la comédie ancienne était censée faire, soit présenter des êtres bas dont les défauts, non préjudiciables, sont risibles [22] .
Un tel rabaissement de Dionysos sert le projet comique d’Aristophane dans les Grenouilles. Dans cette comédie en effet, le dieu tend constamment vers une identité de mortel. Cette mobilité entre le divin et l’humain atteint des proportions excessives et devient une véritable quête d’identité [23] . Dionysos se déguise quatre fois de suite et teste des identités différentes, il éprouve l’expérience de l’esclavage ainsi que les punitions corporelles, affiche plusieurs fois la peur sur son visage (307-08, 479-86), porte une peau de lion pour imiter Héraclès et se présente comme le fils de Jarre (22). En outre, il jure par Poséidon (664), prétend avoir participé à la bataille navale des Arginuses (48-50) et précise qu’il a une femme et des enfants (587). Or aux vers 631, il affirme pour la première fois être « un immortel, Dionysos, fils de Zeus » (ἀθάνατοs εἶναί φημι, Διόνυσος Διός ) [24] .
Les métaphores des vers 100-101 et 311 posent un problème de fond. Elles montrent la filiation qui existe entre le discours comique et le discours tragique tout en exhibant une différence fondamentale entre les deux genres poétiques : celle d’un usage différent du trope de la métaphore. Mais rien d’étonnant à cela. Comme l’a montré François Rastier, le genre a la particularité d’instaurer un contrat interprétatif des tropes, un contrat qui lui est propre. La conséquence est que les régimes d’identification et de construction des tropes diffèrent d’un genre à l’autre [25] . Dans leur contexte initial, celui de la tragédie, les métaphores d’Euripide contribuent à renforcer l’aspect tragique de l’instant. En effet, aux vers 98-100 de l’Hippolyte, le jeune protagoniste laisse entendre qu’il pourrait révéler l’amour secret de Phèdre pour lui, ce qui perturbe fortement la nourrice, saisie d’inquiétude : « ô fils, que feras-tu ? ruineras-tu tes proches ? ». Quant au chœur des Bacchantes, il accentue par l’expression « la marche du temps » l’aspect irréversible de la vengeance qui s’acharnera, sans détour, contre Penthée. Coupées de leur contexte et re-formulées dans les Grenouilles, ces métaphores semblent absurdes au bouffon Héraclès qui ne retient – cela ne fait aucun doute – que leur sens littéral, source d’incompréhension pour lui. Plus loin, ces mêmes expressions sont incarnées par Dionysos qui ne voit aucune incompatibilité sémantique entre les composantes des métaphores qu’il énonce.

3. L’évacuation du métaphorique : de la littéralité à la matérialité

Si Euripide donne au seul Dionysos l’idée de visualiser l’abstrait, d’incarner l’indescriptible, cette aptitude se généralise dans la deuxième partie de la pièce. En effet, elle est poussée à l’extrême et se voit radicalisée à partir du moment où Euripide et Eschyle apparaissent sur scène. Ainsi, des nombreuses entités abstraites tendent à devenir des objets et chaque expression métaphorique est prise au pied de la lettre. À l’image des métaphores d’Euripide et de celles reformulées par Dionysos, l’intellectuel et l’invisible sont ramenés au visible et au banal. L’art poétique, les vers, les mots et les poètes sont en effet présentés comme des animaux (804, 818, 821-25, 924-25, 929), des êtres humains qui consomment de la nourriture (898, 939-43), ils sont apparentés à des instruments géométriques (799-801, 882, 902-4), des armes (818-25, 828, 854-55), des parties du corps (862, 826-27) ou des objets (797, 882, 903).
De plus, l’apparition d’une fiole capable de détruire physiquement les prologues d’Euripide (1198-1248) [26] ainsi que l’entrée en scène d’une balance sur laquelle sont « déposés » les vers poétiques (1365-7), indique qu’on ne se situe plus au niveau du virtuel mais sur l’échelle du visible et du concret [27] . En effet, ces ustensiles font des mots une matière palpable dans la mesure où ces derniers peuvent être touchés, attaqués et détruits. Tout tend à montrer que le régime métaphorique est allégé. À l’image de ce qui se produit dans les genres merveilleux, le monde hyperbolique représenté sur scène n’a rien de surprenant aux yeux des protagonistes : ils comprennent toutes ces expressions littéralement, de sorte que pour eux les vers et l’art poétique sont des choses effectivement visibles et palpables [28] . C’est sans doute pour cette raison qu’ils soulignent par une série de mots l’impact physique de la fiole et de la balance sur les vers des deux tragédiens. Il en va ainsi du verbe διαφθερῶ, « je ruinerai », (1200) qu’emploie Eschyle pour annoncer la destruction des prologues de son adversaire ; de l’infinitif προσάψαι « attacher » (1216, 1231) utilisé par Euripide lorsqu’il affirme que la fiole ne pourra pas s’attacher à ses prologues ; de l’expression verbale μὴ διακναίσῃ (1228), « pour qu’elle n’abîme pas », enfin, que Dionysos emploie quand il conseille à Euripide d’acheter la fiole pour qu’elle n’abîme plus ses prologues [29] .
Dans ce contexte, certaines expressions métaphoriques sont vidées de leur sens vu que la distance entre le mot emprunté et le mot substitué est réduite, voire abolie. Les vers 1386-88 sont éloquents à ce propos :

ὅτι εἰσέθηκε ποταμόν, ἐριοπωλικῶς
ὑγρὸν ποήσας τοὖπος ὥσπερ τἄρια,
σὺ δ᾿ εἰσέθηκας τοὖπος ἐπτερωμένον·
Parce qu’il (Eschyle) y a mis un fleuve, et qu’à la façon des marchands de laine, il a mouillé son vers comme eux les toisons, tandis que toi tu as mis un vers ailé.

L’expression ὑγρὸν ποήσας τοὖπος formulée par Dionysos ne constitue plus un trope car le mot « vers » substitué au mot « fleuve » devient un fleuve entendu dans sa matérialité, qu’on dépose sur la balance. En d’autres termes, il n’y a plus de distance entre le mot emprunté (parole) et le mot substitué (fleuve), autrement dit, entre le métaphorisé et le métaphorisant. On assiste par conséquent à ce que Pascal Thiercy appelle une image dramatisée, technique propre à la dramaturgie d’Aristophane qui contribue à la création d’un univers grotesque, affranchi des conventions et des valeurs traditionnelles [30] .

Qu’il s’agisse des métaphores prononcées par Euripide ou par Eschyle, on assiste donc bel et bien ici à une évacuation du métaphorique au profit d’une situation ambiguë et fantastique qui tourne le dos au monde réel [31] . En d’autres termes, le fabuleux ne découle pas uniquement des monstres infernaux, du chœur des initiés des Champs-Élysées, mais il est aussi favorisé par le dispositif métaphorique qui rend possible le mélange, l’entrelacement du monde réel avec le monde irréel et l’invention d’une nouvelle réalité, toile de fond indispensable des pièces d’Aristophane [32] . La fonction de ce procédé est double. D’une part, en brisant l’homogénéité sémantique du discours, il permet de briser la cohérence du monde représenté dans l’orchestra ; le spectateur est désormais invité à mettre ce monde à distance.
Rendue possible par le détournement du langage, cette distanciation est d’autant plus importante que l’univers présenté en scène côtoie sans cesse un monde plus familier, proche de l’univers athénien. Preuve en sont les nombreuses références faites à l’espace civique ainsi qu’au monde politique, religieux et artistique athéniens [33] . Citons simplement ici le Prytanée des Enfers (761-64) où Eschyle, hôte de Pluton, consomme des repas gratuits. Nul ne manquera de voir ici une référence à la sitisis, le repas aux frais de la cité, que les Athéniens accordaient aux étrangers exemplaires, en signe de reconnaissance [34] . Citons encore le Céramique (129), les ports, les boulangeries, les bordels (112-15) et les fontaines, lieux familiers aux Athéniens [35] .
Si le public s’identifie aux personnages de la pièce grâce à ces références du quotidien, il s’en distancie donc sous l’action des procédés qui transforment ce monde en un univers imaginaire. On pense ici à l’allégement du régime métaphorique et à la matérialité de l’univers abstrait. Il est ainsi rappelé au spectateur athénien que malgré les similitudes ce qu’il voit n’est pas Athènes mais un monde nouveau qui le conduit, par la mise à distance, à s’interroger sur la cité et ses valeurs.
La lecture littérale des métaphores et la matérialisation de leurs composantes ont une seconde fonction. Elles aboutissent à la construction du comique puisqu’on a affaire, ici aussi, à des situations improbables pour le spectateur de l’époque et même pour le lecteur/spectateur moderne. Ce qui relève du champ de l’intellect est représenté comme un objet palpable issu de la vie quotidienne. Le processus est celui de la dégradation, mélange de simplification et de banalisation, susceptible de provoquer le rire. Un détour par Sigmund Freud nous permet de mieux comprendre la naissance du rire dans le cas qui nous intéresse, où intervient la comparaison, comme dans chaque métaphore :

La comparaison devient comique lorsque quelque chose de sérieux et d’étranger, en particulier quelque chose de nature intellectuelle ou morale, est comparé à quelque chose de banal et de bas… La chose, difficile à saisir, qu’est l’étranger, l’abstrait, celle qui est, à proprement parler, intellectuellement éminente, se trouve ainsi démasquée, par la concordance qu’on affirme avec une chose basse qui nous est familière, lors de la représentation de laquelle toute dépense d’abstraction est absente, comme étant elle-même une chose tout aussi basse. Le comique de comparaison se réduit donc à un cas de dégradation. [36]

On ne trouve pas meilleure théorisation de ce qui se passe dans les Grenouilles lorsqu’un vers poétique est pesé comme du fromage ou mesuré avec des instruments de géométrie.

Or, Euripide apparaît justement comme l’instigateur d’une telle démarche puisque, rappelons-le, la juxtaposition d’entités abstraites avec des objets concrets et visibles est une qualité distinctive de ses métaphores. Son penchant transparaît clairement dans les propos que l’auteur tient aux vers 971-79 au sujet de sa contribution décisive au bien-être des Athéniens :

Τοιαῦτα μέν τοὐγὼ φρονεῖν
τούτοισιν εἰσηγησάμην,
λογισμὸν ἐνθεὶς τῇ τέχνῃ
καὶ σκέψιν, ὥστ᾿ ἤδη νοεῖν
ἅπαντα καὶ διειδέναι
τά τ᾿ ἄλλα καὶ τὰς οἰκίας
οἰκεῖν ἄμεινον ἢ πρὸ τοῦ
κανασκοπεῖν· “Πῶς τοῦτ᾿ ἔχει ;
Ποῦ μοι τοδί ; Τίς τοῦτ᾿ ἔλαβε ;”
De telles facultés, c’est pourtant moi qui les inculquai à ceux-ci, en introduisant dans l’art le raisonnement et l’examen ; si bien que désormais on sait concevoir toutes choses, distinguer, et notamment tenir sa maison mieux qu’auparavant en y regardant bien : « Comment va cette affaire ? Où, dites, se trouve ceci ? Qui a pris cela ? »
(Trad. : H. Van Daele)

Euripide se présente ici comme celui qui a ramené l’art à l’entretien d’un ménage. Il est celui qui a transformé l’espace du théâtre, espace civique par excellence, en un espace domestique et plus précisément en une cuisine ! Or ce trait-là du discours tragique d’Euripide, on le retrouve au cœur du discours comique d’Aristophane : que représentent une fiole et une balance détruisant des vers poétiques si ce n’est que ce sont des accessoires domestiques susceptibles de mettre en péril l’art poétique lui-même ? Dès lors on comprend mieux la portée du fragment de Cratine qui souligne le lien étroit existant entre les deux dramaturges. Il soutient qu’on se moquait d’Aristophane, tenu pour un imitateur d’Euripide alors qu’il le critiquait [37] .

Les philologues qui se sont penchés sur l’agôn des Grenouilles soulignent que les vers cités plus haut mettent en évidence une qualité distinctive d’Euripide qu’Eschyle combat ardemment, celle qui consiste à mettre en avant l’individualisme et le penchant de certains citoyens athéniens pour leurs affaires privées. Le différend entre les deux tragédiens incarne la polarité entre oikos et polis qui bouleversaient Athènes à l’époque et dont les dramaturges sont les porte-paroles. À l’idéal défendu par Eschyle, celui d’un citoyen loyal, intègre, courageux, assumant entièrement ses responsabilités envers la cité, s’oppose celui d’Euripide [38] : un citoyen démagogue, au verbe facile, qui est prêt à sacrifier la pérennité des institutions de la cité pour échapper à ses responsabilités civiques et militaires.
Or, la lecture que je propose, sans écarter celle mentionnée à l’instant, conduit à envisager ces vers aussi comme des révélateurs de la poétique d’Euripide qui valorise le banal et le concret, ingrédients incontournables du théâtre d’Aristophane. Le poète accorde à chaque tragédien une place particulière. Eschyle, d’un côté, répond aux besoins d’une cité en pleine déliquescence, il pourvoit aux qualités didactiques et morales qu’un poète doit avoir s’il veut sauver la cité. Le talent d’Euripide, de l’autre, s’avère nécessaire au projet comique et à la construction d’un monde fabuleux qui combine les qualités intellectuelles et les soucis quotidiens. Dans cette perspective, les deux tragédiens ne sont que le transfert sur scène d’une tension propre au discours comique d’Aristophane. Un discours qui cherche à créer un monde agrémenté d’êtres imaginaires et d’objets concrets, mais qui dispense aussi des conseils aux citoyens en œuvrant au maintien des valeurs civiques et militaires sur lesquelles Athènes a bâti sa gloire [39] .
En guise de conclusion, arrêtons-nous sur la citation des vers d’Euripide dans la scène finale de la comédie. Lorsque Dionysos annonce qu’il ramènera Eschyle avec lui (1473), Euripide s’insurge estimant qu’une telle décision a quelque chose d’infâme. Le dieu trahit en effet son projet initial. Dionysos répond en citant le vers de l’Hippolyte, celui auquel il se référait au vers 101 des Grenouilles, à savoir ἡ γλῶσσ᾿ ὀμώμοκεν ἡ δὲ φρὴν ἀνώμοτος, « l’esprit qui ne veut pas jurer sur les victimes, mais la langue parjure à l’écart de cet esprit ». Contrairement à ce qu’il avait annoncé initialement, sa pensée n’a pas juré et il s’octroie par conséquent le droit de surseoir à son intention de départ. La citation du vers d’Euripide vise à remettre le tragédien à sa place, mais elle montre en même temps à quel point celui-ci joue un rôle déterminant dans l’intrigue de la comédie. S’il est celui qui a incité Dionysos à descendre dans les Enfers, c’est un de ses vers poétiques, une de ses métaphores, qui permet au dieu de légitimer son choix final et de quitter le territoire infernal pour toujours. Euripide apparaît dès lors comme l’instigateur du projet comique d’Aristophane et la source d’inspiration de l’intrigue : ce sont sa personne et sa poésie qui légitiment le passage d’un monde à un autre.
Maria Vamvouri-Ruffy
Lausanne

Ouvrages cités

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Footnotes

[ back ] 1. Je remercie Rossella Saetta-Cottone pour ses précieuses remarques.
[ back ] 2. À propos des qualités poétiques propres à Aristophane, Eschyle et Euripide, voir les références données par M. S. Silk, Aristophanes and the Definition of Comedy, p. 45-48. Sur les aspirations poétiques d’Aristophane, cf. J. M. Bremer, « Aristophanes on his own Poetry », A. H. Sommerstein, « Old Comedians on Old Comedy », et M. L. Chirico, « Per una poetica di Aristofane ».
[ back ] 3. M. S. Silk, Aristophanes and the Definition of Comedy, p. 42-97, montre que les deux genres ne sont pas diamétralement opposés. On trouve en effet dans la comédie des éléments sérieux et parfois dramatiques. De même, on recense des tragédies qui ont une fin heureuse comme les Euménides d’Eschyle ou l’Iphigénie en Tauride d’Euripide. Cela dit, comme le remarque B. M. W. Knox, Word and Action, p. 250-74, la fin heureuse de certaines tragédies d’Euripide ne signifie pas qu’il s’agit de comédies. D’après lui, il faut plutôt parler du ton non-tragique de certaines pièces du tragédien. À propos des différences multiples entre les deux genres, voir M. S. Silk, op. cit. p. 93-97, ainsi que O. Taplin, « Fifth century tragedy and comedy : A synkrisis ». Cf. enfin R. P. Winnington-Ingram, « Euripides : poiêtês sophos ».
[ back ] 4. À l’issue de l’agôn, Dionysos précise qu’il choisira celui que son âme désire (1467-8). Pour K. J. Dover, Aristophanes. Frogs, p. 19-20, ce propos souligne l’aspect arbitraire et intuitif du jugement du dieu. Sur le côté arbitraire de l’issue de l’agôn, voir aussi S. Goldhill, The Poet’s Voice, p. 211-22 ; A. M. Bowie, Aristophanes, p. 246-53 ; G. B. Walsh, The Varieties of Enchantment, p. 80-97. Pour I. Lada-Richards, Initiating Dionysos, chapitres 5-9, par contre, le choix du dieu rend explicite l’abandon de son attitude égocentrique. Si, au début de son périple, il est guidé par son propre plaisir qui lui indique de ramener Euripide avec lui, à la fin, son âme fusionne avec celle de la cité et choisit le poète capable de la sauver. Voir aussi C. P. Segal, « The character and cults of Dionysos and the Unity of the Frogs », et J. T. Hooker, « The Composition of the Frogs », p. 182.
[ back ] 5. Aux vers 1021, 1026-27, 1039-43, Eschyle exalte cette qualité propre à sa poésie. Cela dit, dans la pièce une critique est émise à l’égard du monde héroïque qu’il met en scène dans la mesure où la vertu héroïque et l’ethos aristocratique ne correspondent plus à la réalité et aux aspirations de l’homme athénien qui essayait de respecter les principes de l’égalité et de l’excellence collective. Voir à ce propos I. Lada-Richards, op. cit. p. 303-11.
[ back ] 6. Euripide, fr. 487 Nauck2. Aristophane reprend la phrase du tragédien dans Les femmes aux Thesmophories, 272. C. F. Russo, Storia delle Rane di Aristophane, p. 45, souligne qu’Euripide s’inspire de la phrase homérique « Ζεὺς αἰθέρι ναίων », ce qui fait remonter l’antécedent d’Aristophane à Homère.
[ back ] 7. Cette même expression est employée aussi dans la tragédie Alexandre d’Euripide, fr. 42 Nauck2. Voir aussi Aristophane, Les femmes aux Thesmophories 275-76.
[ back ] 8. Aristophane, Acharniens 644-51 ; Cavaliers 509-11. À propos des qualités requises de la part du poète comique cf. M. De Fatima Silva, « La comédie, l’art le plus difficile entre tous ».
[ back ] 9. Je me réfère ici à la définition que donne le Groupe m, Rhétorique générale, p. 106-12, à la figure de la métaphore. Cette idée de transfert sémantique ou plutôt de transposition d’un nom étranger se retrouve bien sûr dans la définition d’Aristote, Poétique 21,1457b7-9 : « La métaphore (μεταφορά) est le transfert à une chose d’un nom qui ne lui appartient pas (ὀνόματος ἀλλοτρίου ἐπιφορά) ou du genre à l’espèce ou de l’espèce au genre ou de l’espèce à l’espèce ou selon une proportion (ἢ κατὰ τὸ ἀνάλογον) ». Sur les traits essentiels de la définition d’Aristote, cf. P. Ricœur, La métaphore vive, p. 23-34, J. Taillardat, « Images et matrices métaphoriques », qui se penche sur les matrices métaphoriques en tant qu’outils de travail, et A. Lacks, « Substitution et connaissance ».
[ back ] 10. Aristote, Rhétorique 3, 10, 1410b34 ; 3, 11, 1411b24-25. Pour une discussion de ce pouvoir ontologique de la figure de la métaphore voir P. Ricœur, La métaphore vive, p. 49-51, 81-83, 374-84.
[ back ] 11. Aristote, Rhétorique 3, 11, 1412a3.
[ back ] 12. Ibid. Les exemples qu’il cite sont tirés tour à tour d’Homère, Odyssée 11, 598 ; Iliade 18, 587 ; 4, 126 ; 11, 574 ; 15, 541 ; 13, 799.
[ back ] 13. Voir aussi Aristophane, Ploutos 279.
[ back ] 14. À croire I. Lada-Richards, Initiating Dionysus, p. 218, les expressions d’Euripide sont aventureuses, sans substance, ambiguës moralement et dénuées de plan de référence. Aller dans son sens reviendrait à considérer toute métaphore comme aventureuse puisque ce trope juxtapose par définition des termes issus de contextes différents.
[ back ] 15. F. Rastier, Arts et sciences du texte, p. 155-56, 159-61. Rastier affirme que le rapport du littéral au figuré dépend du contexte dans lequel la figure apparaît. Il n’y a donc pas de sens littéral ou figuré au sens ontologique du terme mais ces sens « sont perçus relativement à des fonds sémantiques » tels que les isotopies génériques.
[ back ] 16. Platon, Philèbe 48c2-49c6. Pour une analyse de ce passage, voir D. Schultess, « Rire de l’ignorance ? » p. 312.
[ back ] 17. À ce moment de la pièce, Dionysos s’éloigne du héros qu’il a voulu imiter. La confrontation du dieu au héros dans le prologue des Grenouilles n’est qu’une transposition au niveau de l’intrigue de l’expérience que le théâtre offrait aux spectateurs, soit la confrontation avec soi-même et avec l’autre. À propos des éléments qui rapprochent et éloignent Dionysos d’Héraclès cf. I. Lada-Richards, Initiating Dionysos, p. 17-44.
[ back ] 18. Sur la gloutonnerie d’Héraclès cf. Aristophane, Grenouilles 62-63 ; Paix 741-3 ; Guêpes 60. L’appétit excessif du héros est un des thèmes comiques du drame satyrique. Voir à ce propos P. Voelke, « Formes et fonctions du risible dans le drame satyrique », p. 103-04.
[ back ] 19. Sur cette créature issue de l’imagination populaire grecque, voir C. G. Brown, « Empousa, Dionysus and the Mysteries ». D’après ce dernier, le spectre d’Empoussa constitue un passage spécifique des Mystères d’Eleusis. I. Lada-Richards, Initiating Dionysus, p. 71, 90, souligne que Xanthias gruge Dionysos quand il affirme avoir vu Empousa. Mais cette fausse vision provoquant la peur constitue une étape importante dans le parcours initiatique de Dionysos. À propos des phantasmata aux Mystères d’Eleusis, cf. R. Seaford « Dionysiac Drama and the Dionysiac Mysteries », p. 25, et 259, n. 68.
[ back ] 20. Voir aussi Aristophane, Nuées 264-65.
[ back ] 21. À propos de l’incompatibilité, source de rire voir D. Arnould, « Le ridicule dans la littérature grecque archaïque et classique ».
[ back ] 22. Voir la définition donnée chez Aristote, Poétique 5, 1449a31-33. Pour A. Ballabriga, « Approche du burlesque divin dans l’Antiquité », la tendance dans l’Antiquité de présenter les dieux sous un jour satirique et comique avait pour fonction d’équilibrer la transcendance par une proximité et une familiarité rassurante avec le divin.
[ back ] 23. Dionysos est, certes, le dieu qui traverse sans cesse les frontières entre les deux natures. Voir par exemple les Bacchantes où la polarité divin/mortel se voit atténuée. Cf. à ce propos A. Henrichs, « “He Has a God in Him” ». À propos de l’instabilité identitaire d’un Dionysos qui n’a pas atteint une conception unifiée de lui-même et de sa tendance naturelle d’imiter autrui cf. C. P. Segal, « The character and cults of Dionysus and the unity of the Frogs ». Le port d’une peau d’animal et le travestissement étaient des éléments constitutifs des cultes dionysiaques : cf. à ce propos R. Seaford « Dionysiac Drama and the Dionysiac Mysteries », p. 258-59. Voir aussi E. Lapalus, « Le Dionysos et l’Héraclès des “Grenouilles” », qui insiste sur l’aspect burlesque, ridicule et humain de Dionysos ainsi que sur l’absence d’attributs divins chez le dieu. Cf. la scholie au vers 479 des Grenouilles, qui met l’accent sur l’éloignement de Dionysos de sa nature divine.
[ back ] 24. Tout le parcours du dieu, de la descente aux Enfers au retour chez les vivants s’apparente à un rite d’initiation qui lui permet d’atteindre l’accomplissement de sa nature divine : cf. à ce propos D. Konstan, « Poésie, politique et rituel dans les Grenouilles d’Aristophane », qui met en exergue les trois étapes que franchit Dionysos lors de parcours et qui correspondent aux trois moments des rites d’initiation. Voir aussi A. M. Bowie, Aristophanes, p. 234-53, qui se penche surtout sur la relation entre les Mystères d’Eleusis et l’imagerie de la pièce. Cf. enfin I. Lada-Richards, Initiating Dionysus, p. 45-122, qui explore la structure du parcours et cherche à identifier tant les éléments éleusiniens et bachiques que ceux issus des rites d’initiation des éphèbes.
[ back ] 25. F. Rastier, Arts et sciences du texte, p. 162.
[ back ] 26. La scène de la fiole a donné beaucoup de fil à retordre aux philologues. Sans doute, comme le souligne S. Goldhill, The Poet’s Voice, p. 215-17, il s’agit d’une expression triviale qui vise à parodier la similitude et la monotonie des prologues d’Euripide et comme le précise D. Sider, « ληκύθιον ἀπώλεσεν », de la façon la plus vulgaire possible. Pour d’autres, il s’agit d’un symbole phallique. L’hypothèse est peu probable vu l’absence de connotation sexuelle. Cf. à ce sujet, D. Sider, op. cit.
[ back ] 27. Les philologues ont cherché à savoir si la fiole était uniquement un objet linguistique sans essence extra-textuelle ou si elle était réellement apportée sur scène. Pour une discussion sur ce sujet, voir A. H. Sommerstein, Frogs, p. 263-65. K. J. Dover, Aristophanes. Frogs, p. 337-39. Ce qu’il faut retenir c’est que les protagonistes agissent comme si la fiole et la balance étaient présentes sur scène. Pour s’en convaincre, il suffit de citer le verbe δείξω, « je montrerai », (1204), les deictiques τοῦτο, « celui-ci », (1221, 1223), et ἰδοὺ, « voici », (1205) ou encore les verbes qui insinuent que ces accessoires peuvent être touchés : λαβομένω, « en tenant » (1379), ἐχόμεθα, « nous tenons » (1381), λάβεσθε, « prenez » (1389), μεθεῖτε, « lâchez » (1393).
[ back ] 28. F. Rastier, Arts et sciences du texte, p. 162, précise que dans les mondes que construisent les genres merveilleux, « tout devient pour ainsi dire littéral, et par exemple, dans le conte des Bottes de sept lieues n’ont rien d’hyperbolique et permettent de franchir littéralement cette respectable et désuète distance ».
[ back ] 29. Pour une analyse de la scène du lécythe sous cet angle, voir dans ce volume la contribution de Frank Müller.
[ back ] 30. Sur la signification de la notion du grotesque, voir P. Thiercy, Aristophane, p. 13-14.
[ back ] 31. Comme le précise M. S. Silk, Aristophanes and the Definition of Comedy, p. 94, la comédie est par définition un genre qui tend vers le matériel et s’éloigne du métaphysique.
[ back ] 32. Sur cette nouvelle réalité qui échappe aux normes habituelles voir P. Thiercy, Aristophane, p. 93-102. C’est sans doute ce mélange qui rend le monde représenté fluide et incohérent. Voir à ce propos, O. Taplin, « Fifth-century tragédie and comedy : A synkrisis », p. 165, et S. Saïd, « L’espace d’Athènes dans les comédies d’Aristophane », p. 340-44. Comme le montre M. Trédé, « À propos du “réalisme” d’Aristophane », le poète comique pratique l’art du pêle-mêle. Sur la rupture de l’intrigue, fréquente dans les pièces d’Aristophane, cf. G. A. H. Chapman, « Some Notes on Dramatic Illusion in Aristophanes ».
[ back ] 33. Ce monde qui frise le non-sens et qui est décrit par le biais d’objets réalistes tels la balance et la fiole est cher au théâtre d’Aristophane. Voir par exemple les vers 187-99 des Acharniens où la trêve est représentée sur scène. Les trois tailles des échantillons correspondent à trois périodes de paix que l’on peut déguster. À propos de cette image, voir J. Taillardat, Les images d’Aristophane, p. 372, M. Trédé, art. cit. p. 185-87, et P. Thiercy, op. cit, p. 103-20, qui analyse des multiples exemples d’images dramatisées dans les comédies d’Aristophane.
[ back ] 34. Sur la sitisis, et les phases de l’octroi de ce privilège aux époques classique et hellénistique, cf. P. Schmitt Pantel, La cité au banquet, p. 145-68. S. Saïd, « L’espace d’Athènes dans les comédies d’Aristophane », s’attache à montrer que chez Aristophane les lieux publics sont détournés de leur fonction propre. Ainsi le Prytanée se situe aux Enfers et pas à Athènes. L’objectif d’un tel procédé est de faire apparaître un miroir à la fois fidèle et déformant de l’Athènes réelle et de faire ainsi une satire des institutions démocratiques de la cité.
[ back ] 35. L’itinéraire de Dionysos s’inscrit par ailleurs dans une topographie qui rappelle celle d’Athènes. D’après M. Guarducci, « Le Rane di Aristophane e la topografia ateniese », et J. T. Hooker, « The Topography of the Frogs », la pièce fait vraisemblablement une allusion au temple du dieu (181, 216-17). La maison d’Héraclès, point de départ de Dionysos, serait le sanctuaire d’Héraclès situé dans le gymnase de Kynosarges et le point d’arrivée du dieu serait le sanctuaire d’Agrai où étaient célébrés les Petits Mystères en l’honneur de Déméter, de Perséphone et de Iacchos. K. J. Dover, Aristophanes. Frogs, p. 61-62, émet à propos d’une telle lecture des doutes que S. Saïd, art. cit. p. 349-50 dissipe. C. Murphy, « Aristophanes, Athens and Attica », a essayé, quant à lui, d’identifier les lieux mentionnés dans les comédies d’Aristophane.
[ back ] 36. S. Freud, Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, p. 368-70.
[ back ] 37. Scholie à Platon, Apologie 19c. Voir aussi Cratinus, fr. 342 Kassel-Austin. O. Taplin, « Fifth-century tragedy and comedy : A synkrisis », p. 173, souligne qu’Euripide est le poète qui atténue le mieux les tensions opposées entre le comique et le tragique.
[ back ] 38. Voir à ce propos, J.-P. Vernant, « Greek Tragedy », p. 288, N. Loraux, « L’interférence tragique », p. 911, K. J. Dover, Aristophanes. Frogs, p. 10-37, F. I. Zeitlin, Playing the Other, p. 366, R. Seaford, Euripides : Bacchae, p. 457-8, et I. Lada-Richards, Initiating Dionysus, p. 268-77.
[ back ] 39. Cf. à ce propos, C. P. Segal, « The Character and Cults of Dionysus and the Unity of the Frogs », p. 212.