Euripide, héros et poète comique :
À propos des Acharniens et des Thesmophories d’Aristophane [1]
Par l’inventivité et l’habileté qui le caractérisent, l’Euripide d’Aristophane présente des similitudes tout à la fois avec la figure du héros et celle du poète comiques. Tout en suggérant de telles similitudes, Aristophane en fait payer le prix au poète tragique par diverses stratégies. Ainsi dans les Acharniens, Euripide se voit dépouillé de son propre art par un Dikaiopolis qui utilise contre lui le harcèlement rhétorique dont Euripide a montré l’exemple à travers son héros Télèphe. Dans les Thesmophories, Euripide se voit transformé en poète comique, à travers le reproche qui lui est fait de « mal parler des femmes », et il ne parvient à ses fins qu’en se prêtant à un jeu qui évoque la comédie la plus ordinaire, celle précisément dont Aristophane lui-même prétend se démarquer.
1. Aristophane et Euripide : quelques points de vue modernes
« Aristophane a représenté avec un immense discernement et un esprit intarissable la subtilité sophistique d’Euripide, ses prétentions rhétoriques et philosophiques, son immoralité et sa mollesse séduisante, sa façon d’émouvoir les seuls sens. Les critiques actuels ont le plus souvent considéré Aristophane comme un bouffon outrancier et injurieux, et ils n’ont pas su déceler les vérités derrière les habits de la plaisanterie ; du coup, ils ont donné peu de poids au jugement de cet auteur ». C’est en ces termes qu’August Schlegel tente de réhabiliter le jugement d’Aristophane sur Euripide pour s’en faire un allié dans la critique radicale qu’il porte sur l’art du poète tragique. Lorsqu’à son tour Friedrich Nietzsche s’en prend au réalisme et au rationalisme socratique d’Euripide, fossoyeur de la tragédie attique, il se réfère également au jugement d’Aristophane, contre ceux qui cherchent à le discréditer. Quant à Bruno Snell, s’il prend la défense d’Euripide contre Schlegel et Nietzsche, il ne met pas en cause l’utilisation qu’ils ont faite d’Aristophane et il s’inscrit donc également dans la lignée des interprètes qui perçoivent le rapport d’Aristophane à Euripide uniquement sur le mode critique et polémique, lorsqu’ils ne supposent pas une inimitié personnelle entre les deux poètes [2] .
Tout en mettant l’accent sur la position essentiellement critique d’Aristophane à l’égard d’Euripide, d’autres modernes ont néanmoins perçu dans cette position une tension entre une préoccupation pratique, par laquelle Aristophane se sent investi d’une mission de défense des valeurs et de l’ordre traditionnels de la cité, menacés par la poésie d’Euripide, et une position intellectuelle qui le conduit à reconnaître la force et le caractère novateur de cette poésie [3] . De fait, on a souvent lu dans la constance avec laquelle Aristophane fait référence à l’œuvre d’Euripide une forme de fascination ou d’hommage [4] . D’autres ont rappelé que les jugements portés sur l’œuvre d’Euripide dans les Grenouilles étaient assumés par le personnage d’Eschyle et que rien n’autorisait à identifier sa voix avec celle d’Aristophane ; à propos de l’agôn opposant Eschyle à Euripide dans cette même pièce, on a pu relever qu’aucun élément objectif ne permettait de justifier le choix final de Dionysos en faveur d’Eschyle, si ce n’est l’appartenance de ce dernier à la génération glorieuse de Marathon et les reprises dont ses tragédies faisaient déjà l’objet à l’époque d’Aristophane [5] . Déplaçant l’objet de la parodie, certains auteurs ont situé la cible de l’ agôn des Grenouilles non pas dans la poésie tragique elle-même, mais bien plus dans la critique littéraire développée par les sophistes [6] .
Au-delà de cette mise en question du caractère fondamentalement critique du jugement d’Aristophane sur Euripide, ce sont les similitudes entre les deux poètes que l’on a cherché à mettre en évidence. Le point de départ de cette approche est une scholie à Platon qui souligne l’ambivalence de la relation qu’entretient Aristophane avec Euripide, en indiquant que le premier se moque (σκώπτειν) du second tout en l’imitant (μιμεῖσθαι) [7] ; et d’invoquer le témoignage du poète comique Cratinos (fr. 342 Kassel-Austin) qui souligne les similitudes entre l’art d’Aristophane et celui d’Euripide en forgeant le participe intraduisible εὐριπιδαριστοφανίζων. Les deux qualificatifs qui précèdent ce participe, ὑπολεπτολόγος, « au langage assez subtil », et γνωμιδιώκτης, « chasseur de formules », suggèrent une parenté stylistique. Ce n’est toutefois pas uniquement dans le domaine de la langue ou de la métrique qu’ont été vues des similitudes entre les deux poètes, mais également dans leurs positions politiques et dans leur traitement des dieux ; de même a-t-on attribué à l’influence euripidéenne la position de protagoniste qu’Aristophane accorde aux femmes dans plusieurs comédies [8] . Plus fondamentalement, tout en parodiant certaines scènes euripidéennes, Aristophane les insère dans le déroulement de ses propres intrigues dont elles deviennent des pièces maîtresses ; bien plus, comme le montre l’exemple des Thesmophories, l’intrigue comique peut non seulement intégrer des scènes euripidéennes, mais elle peut être tout entière calquée sur le modèle des intrigues des pièces auxquelles elle emprunte ces scènes [9] .
L’objectif du présent article n’est pas de discuter ou de repérer les similitudes pouvant exister entre l’art poétique d’Aristophane et celui d’Euripide, à travers leurs œuvres respectives, mais il s’agira de montrer comment Aristophane lui-même, dans les Acharniens et les Thesmophories, suggère des similitudes entre l’art d’Euripide et le sien, mais aussi entre l’art d’Euripide et les modes d’agir des héros comiques ; dans le même temps, il s’agira de montrer comment Aristophane, tout en suggérant de telles similitudes, invente des stratégies diverses pour faire payer au poète tragique le prix de cette proximité.
2. Poète et héros comiques
Aristophane revendique à plusieurs reprises la capacité d’innovation comme l’une des qualités constitutives de la compétence (σοφία) et de l’habileté (δεξιότης) poétiques [10] . Ainsi dans la parabase des Nuées (547-48), le poète déclare exercer sa σοφία (σοφίζομαι) en apportant aux spectateurs des idées nouvelles (καινὰς ἰδέας), jamais semblables et toutes ingénieuses (δεξιάς) ; en revendiquant cette inventivité, Aristophane prétend se démarquer des mauvaises plaisanteries (πονηρὰ σκώμματα, 542), justes propres à faire rire les enfants (539), que cultivent ses rivaux vulgaires (φορτικοί, 524). Dans la parabase des Guêpes (1052-9), le chœur appelle le public à donner ses suffrages aux poètes capables de dire et d’inventer (ἐξευρίσκειν) quelque chose de neuf (καινόν τι), et qui font ainsi preuve d’une qualité constitutive de l’habileté poétique (δεξιότης). Ce lien entre capacité d’innovation et habileté poétique se trouve déjà établi dans le prologue de cette pièce (54-66), lorsque le serviteur de Bdélycléon indique que le sujet de la pièce échappera aux plaisanteries éculées de la farce mégarienne et traitera d’un sujet relevant d’un art supérieur (σοφώτερον) à celui d’une comédie vulgaire (κωμῳδία φορτική), sans pour autant dépasser l’habileté d’esprit du spectateur (δεξιώτερον) [11] . Dans l’Assemblée des femmes, lorsque le chœur demande à Praxagora d’exposer son programme politique (577-82), il souligne que la cité a besoin d’une habile invention (σοφὸν ἐξεύρημα) et qu’il ne s’agit d’accomplir rien de ce qui a été fait ou dit dans le passé, car les citoyens détestent voir (θεῶνται) ce qui appartient au passé ; et pour que l’héroïne s’exécute sans tarder, le chœur ajoute que la promptitude est un élément propre à susciter le plaisir des spectateurs. Ce sont donc bien les spectateurs qui apparaissent comme les destinateurs du discours de Praxagora, ce qu’elle-même reconnaît dans les vers qui suivent (583-5) ; l’inventivité que lui réclame le chœur est ainsi d’abord celle dont doit faire preuve le poète pour séduire son public.
Comme le montre l’exemple de Praxagora, la capacité d’innovation qu’Aristophane revendique pour lui-même se trouve également inscrite dans les héros qu’il met en scène [12] . Au fondement de l’action du héros se trouve en effet une idée extraordinaire, dont la réalisation exige, à l’instar du travail poétique, savoir-faire et habileté [13] . Ainsi Dikaiopolis dans les Acharniens (971), le marchand de boudin dans les Cavaliers (421), Bdélycléon dans les Guêpes (809, 812), Trygée dans la Paix (1029) et surtout Pisthetairos dans les Oiseaux (362, 428-31, 1271-72, 1274) sont décrits, parfois sur le mode superlatif, comme des héros habiles (σοφός, δεξιός) et avisés (φρόνιμος, πυκνός).
Qu’en est-il d’Euripide, personnage aristophanien ? Le poète tragique est mis en scène dans les Acharniens en tant que poète susceptible de conférer au héros son « pouvoir-faire », tandis que dans les Thesmophories il apparaît non seulement comme poète, mais aussi comme héros, en tant qu’instigateur et maître d’œuvre d’un projet qui suppose autant d’audace que d’ingéniosité. Dans les deux cas, Euripide incarne, comme nous le verrons, inventivité et habileté. À cet égard, Euripide, à l’instar des autres héros aristophaniens, assume des qualités revendiquées par le poète comique lui-même. Dans le cas d’Euripide cependant, cette proximité a un prix, dans la mesure où elle ne peut manquer de mettre en question sa qualité de poète tragique. Le prix à payer ne s’arrête toutefois pas là. Comme nous le verrons à propos des Acharniens et des Thesmophories, la reconnaissance en Euripide de qualités revendiquées par le poète comique conduit ce dernier à inventer des stratégies propres à déposséder son personnage de son art poétique et à le transformer en poète comique.
3. Euripide dans les Acharniens
Dans les Acharniens, le héros, Dikaiopolis, est décrit par le chœur comme un homme avisé et très habile (φρόνιμος, ὑπέρσοφος, 971), lorsqu’il s’agit de souligner les bénéfices qu’il retire de sa trêve privée. C’est toutefois à un moment bien précis de l’intrigue que Dikaiopolis illustre ces qualités, lorsqu’il s’agit pour lui de revêtir le costume le plus misérable (384), avant de s’adresser aux Acharniens. Ceux-ci ne s’y trompent pas, puisqu’ils l’interrogent sur ce qu’il machine et l’invitent à révéler ses mauvais tours (μηχαναί) dignes de Sisyphe (385-92). Ces mêmes qualités lui sont reconnues par Euripide lorsqu’il lui donne le costume de Télèphe et salue en lui l’esprit avisé (πυκνός), propre à imaginer de subtiles (λεπτά) idées (445). Plus précisément, la particule γάρ (445) suggère qu’Euripide accepte de faire don à Dikaiopolis du costume de Télèphe, dans la mesure où il reconnaît en lui les qualités qui sont celles précisément de Télèphe. Et de fait, si Dikaiopolis réclame le costume de Télèphe, plutôt que ceux d’Oenée, de Phoinix ou de Bellérophon, c’est que chez Télèphe uniquement le costume participe d’un déguisement et donc d’une ruse ; au-delà, ce choix est bien entendu dicté par l’analogie des situations dramatiques que connaissent le héros tragique et le héros comique et qui dans les deux cas requièrent les mêmes qualités, au premier rang desquelles l’habileté rhétorique. Ainsi dans la pièce que lui consacre Euripide, Télèphe, au même titre qu’Ulysse, peut être qualifié par les adjectifs αἱμύλος, « subtil », et σοφός, « habile » (fr. 715 Nauck2). L’habileté rhétorique est elle-même liée à l’audace (τόλμα) qui fait du héros comique un être πανοῦργος, « prêt à tout ». C’est ainsi que le choeur qualifie Dikaiopolis (311), lorsqu’il prétend que les Laconiens ne sont pas la cause de tous les ennuis que connaissent les Athéniens. Si le terme πανοῦργος n’apparaît pas dans les fragments du Télèphe, deux fragments (fr. 702 et 712a Nauck2), dont l’un cité par les Acharniens (577), mettent en avant l’audace (τόλμα) dont fait preuve le héros tragique.
Comme l’ont montré plusieurs études, les analogies entre Dikaiopolis et Télèphe, qui conduisent le premier à choisir le second comme modèle, s’étendent à un troisième terme qui est Aristophane lui-même et/ou Callistratos, le metteur en scène (διδάσκαλος) de la pièce [14] . Avant même de revêtir le costume de Télèphe, Dikaiopolis avait assumé l’identité du poète-producteur en rappelant l’action menée à son encontre l’année précédente par Cléon (377-82). Vêtu des haillons de Télèphe, Dikaiopolis assume à nouveau l’identité d’Aristophane-Callistratos, lorsque, en préambule à son discours, il défend la vocation de la comédie à dire ce qui est juste à propos de la cité, certain que Cléon cette fois ne le poursuivra pas (499-503) [15] . Dans cette superposition des voix du poète comique, du héros comique et du héros tragique, auxquelles peut se mêler encore la voix de l’acteur comique [16] , il convient de s’interroger sur la place qu’occupe Euripide, le poète tragique. De fait, si le héros et le poète comiques trouvent en Télèphe, le héros tragique, le modèle d’habileté qui doit leur permettre d’arriver à leurs fins dans leur travail de persuasion, ce modèle se trouve lui-même à l’image de celui qui l’a forgé, Euripide. Tout indique en effet qu’Euripide s’assimile lui-même à ses propres personnages, parmi lesquels Télèphe. Ainsi, en faisant son entrée sur un ekkuklêma, Euripide revêt d’emblée le statut de personnage théâtral. De plus, autant sa position les pieds en haut que les haillons qu’il porte conduisent Dikaiopolis à l’assimiler à ses héros boiteux et mendiants (410-13), selon un principe de mimétisme entre le poète et ses personnages analogue à celui que revendique Agathon dans les Thesmophories (148-58).
Au-delà de ces ressemblances vestimentaires et physiques, nul doute qu’Euripide partage avec Télèphe, et donc avec Dikaiopolis, la même habileté. Ainsi la consécration de Dikaiopolis reconnu par Euripide comme un esprit avisé (πυκνός), propre à imaginer de subtiles (λεπτά) idées, ne peut venir que d’un esprit qui partage ces mêmes qualités. Ainsi dans les Grenouilles (828), la langue effilée d’Euripide tire sa supériorité des subtilités qu’elle énonce (καταλεπτολογέω) et Euripide se vante des règles subtiles (λεπτοὶ κανόνες, 956) qu’il enseigne au spectateur. À cette subtilité d’esprit Dikaiopolis joint, comme l’indique le chœur, l’art du renversement et de la machination (στρέφεσθαι, τεχνάζειν, 385) ; or, ces deux verbes se trouvent également associés dans les Grenouilles (957), après la mention des « règles subtiles », lorsqu’Euripide énumère les domaines de son enseignement. Dans les Grenouilles toujours, le serviteur de Pluton évoque la fascination des brigands et criminels de toutes sortes pour la souplesse (λυγισμός) et les revirements (στροφαί) (775) qui font d’Euripide le plus habile (σοφώτατος, 776) des poètes ; ce dernier place d’ailleurs au nombre de ses dieux personnels le pivot de sa langue (γλώττης στρόφιγξ, 892). À cet égard la position qu’Euripide adopte dans les Acharniens, les pieds en l’air, si elle est mise en relation par Dikaiopolis avec les héros boiteux, paraît bien plus encore emblématique de l’art du renversement et du retournement qu’il partage avec le héros comique. Euripide partage également avec Télèphe, mais aussi Dikaiopolis, l’audace et la capacité à ne reculer devant rien. C’est ainsi qu’Euripide dans les Grenouilles est qualifié de πανοῦργος, notamment lorsque Dionysos lui prête, à la différence de Sophocle, l’adresse nécessaire pour s’enfuir des Enfers (80, cf. 1520) ; c’est le même qualificatif qui est appliqué à ses admirateurs (781) et aux citoyens athéniens corrompus par ses pièces (1015).
L’art d’Euripide se trouve donc récupéré et annexé par le héros et le poète comiques qui trouvent en lui le modèle d’habileté qui doit leur permettre d’arriver à leurs fins. À cet égard, il convient de nuancer l’interprétation d’Helen Foley selon laquelle Dikaiopolis et Aristophane adopteraient le masque du héros tragique pour donner à leur discours l’autorité liée au genre tragique [17] . Sans doute Dikaiopolis-Aristophane désigne-t-il la comédie par le terme τρυγῳδία (500), lorsqu’il s’agit de lui attribuer, à l’instar de la τραγῳδία, la capacité à dire le juste et sans doute l’habit de Télèphe appelle-t-il ce jeu de mots [18] . Ce n’est toutefois pas tant l’autorité liée au genre tragique que recherchent Aristophane et Dikaiopolis dans la figure de Télèphe, mais bien plus des modes d’action dans lesquels eux-mêmes se reconnaissent et auxquels ils se doivent de recourir. À cet égard le terme τρυγῳδία, prononcé par un personnage doté du costume d’un héros euripidéen, ne vise pas tant à attribuer à la comédie l’autorité du genre tragique, mais bien plus à démarquer la tragédie euripidéenne du reste du genre tragique — de la τραγῳδία —, pour suggérer sa parenté avec le genre comique. Il est de ce point de vue significatif que le discours de Dicaiopolis face aux vieillards acharniens, pour lequel le héros a emprunté les habits de Télèphe, ne comporte en définitive que très peu d’éléments paratragiques [19] .
Si le genre tragique en tant que tel n’est pas en jeu, la tragédie euripidéenne l’est donc assurément ; car elle ne peut sortir indemne de la récupération et de l’annexion dont elle fait l’objet de la part du héros et du poète comiques. Euripide ne s’y trompe pas, lorsqu’il se plaint d’être dépouillé de sa tragédie (464) et de ce que son art dramatique (τὰ δράματα, 470) désormais lui échappe ; de fait, comme l’a montré une étude récente, les différents accessoires que Dikaiopolis réclame à Euripide, à la suite des haillons de Téléphe, pourraient être autant de références à l’art rhétorique du tragique [20] . Dans ce dépouillement dont il est victime et dans cette perte de contrôle sur son art, Euripide se voit retourner contre lui son propre art. En effet, dès lors qu’il a revêtu les habits de Télèphe, Dikaiopolis devient, dans ses demandes à l’égard du poète, « collant, insistant, pressant » (γλίσχρος, προσαιτῶν, λιπαρῶν, 452), à l’image de son modèle précédemment qualifié d’« insistant, bavard, habile parleur » (προσαιτῶν, στωμύλος, δεινὸς λέγειν, 429) ; face à ce harcèlement dont il a montré lui-même l’exemple avec son héros, Euripide ne trouve aucune ressource dans son propre discours et ne trouve d’autre échappatoire que de se retirer du jeu en faisant fermer sa porte (479). Ce harcèlement, qui finit par ne plus répondre à aucune finalité, comme le reconnaît lui-même Dikaiopolis (454-55), suggère une forme de fascination comparable à celle de Dionysos dans les Grenouilles, lorsqu’il se dit dévoré par le désir (πόθος) à l’égard d’Euripide (66-67), avant d’évoquer la folie (μαίνομαι) que provoquent en lui certaines expressions euripidéennes (103). Dans les Acharniens, le harcèlement et la dépossession conduisent à l’absorption : Dikaiopolis « se remplit » (ἐμπίμπλαμαι, 447) des petites phrases d’Euripide, puis finit par l’« avaler » (καταπίνω, 484), à l’instar de Cronos avalant ses enfants dans la Théogonie d’Hésiode (459, 467).
S’il constitue un objet de fascination, Euripide a donc, dans le même temps, toutes les raisons de craindre la dépossession dont il fait l’objet et le sort désormais réservé à son art. De fait, échappant au contrôle de leur créateur, les habits de Télèphe se trouvent désormais aux mains du poète comique qui, après en avoir vêtu son héros, et par cet intermédiaire lui-même, n’hésite pas, au terme de la pièce, à les réutiliser pour en revêtir son principal adversaire, Lamachos [21] . La blessure que se fait Lamachos avec un échalas de vigne (χάραξ, 1178) fait écho à la chute de Télèphe trébuchant sur un sarment de vigne, avant d’être frappé par la lance d’Achille, selon une tradition à laquelle fait déjà allusion Pindare [22] . Toutefois, si dans le cas de Télèphe la chute sur le sarment et la blessure par la lance constituent deux moments distincts, dans le cas de Lamachos c’est l’échalas lui-même qui provoque la blessure et la lance ennemie qu’il évoque à son entrée en scène (1192, 1226) n’est autre que l’échalas lui-même ; de même Lamachos se plaint de sa tête frappée par une pierre (1218), comme s’il s’agissait d’une pierre lancée par la fronde d’un ennemi, alors même que le récit du messager a indiqué que la pierre responsable de la blessure est celle sur laquelle il est tombé (1180) [23] . Aux blessures guerrières et héroïques se substituent ainsi des blessures purement accidentelles, qui ne peuvent être imputées qu’à la maladresse du général [24] . Ainsi, alors qu’Euripide avait confié les habits de Télèphe à Dikaiopolis en reconnaissant en lui un esprit habile et subtil (445), digne de les porter, le poète comique, après s’être servi du modèle pour arriver à ses propres fins, n’hésite pas à le dégrader en l’assimilant à un personnage qui se voit dénié autant la valeur guerrière que la subtilité d’esprit du héros tragique.
Si la dépossession et la réutilisation dégradante constitue l’une des stratégies mises en œuvre par Aristophane pour faire payer à Euripide le prix de la parenté qu’il perçoit entre son art et celui du poète tragique, il en est une autre qui consiste à accentuer les traits de cette parenté et à transformer Euripide en poète comique. Une telle stratégie semble déjà à l’œuvre dans l’usage du terme τρυγῳδία qui, comme nous l’avons vu, a pour effet de démarquer la poétique euripidéenne de la τραγῳδία. Surtout, le déguisement de Dikaiopolis sur le modèle de Télèphe trouve un écho, après la parabase, dans le déguisement des deux filles du Mégarien en truies [25] . Qualifié de « ruse mégarienne » (μεγαρικὰ μαχανά, 738), ce déguisement ne fait sans doute pas uniquement allusion à la traditionnelle perfidie des Mégariens, à laquelle se réfèrent les scholies, mais également à la farce mégarienne, cette forme vulgaire du comique dont Aristophane prétend se démarquer dans le prologue des Guêpes (57) [26] . À travers le parallélisme entre ces deux scènes, Aristophane crée ainsi une assimilation qui conduit à rapprocher l’art d’Euripide du genre comique, et plus précisément encore de la forme la plus ordinaire de ce genre. C’est une stratégie semblable que nous retrouverons à l’œuvre dans les Thesmophories.
4. Euripide dans les Thesmophories
Si dans les Acharniens, Euripide confère au héros comique, Dikaiopolis, son « pouvoir-faire », dans les Thesmophories, c’est lui-même qui doit aller demander l’aide d’un poète tragique, Agathon, pour contrer les accusations dont il fait l’objet. Cette analogie avec Dikaiopolis suggère que l’Euripide des Thesmophories assume la position du héros comique [27] . Sans doute, à strictement parler, le rôle de protagoniste revient au parent d’Euripide qui reste présent tout au long de la pièce et qui a l’initiative de l’action dramatique depuis son arrivée au Thesmophorion (279) ; dans la conduite de cette action, Mnésilochos, à l’instar d’un héros comique, doit faire appel à la ruse et aux expédients (μηχανή, 765, πόρος, 769). Force pourtant est de constater que c’est Euripide qui prend le contrôle de l’action dans la dernière partie de la pièce, à partir du moment où il enjoint son parent d’assumer le rôle d’Andromède (1010-12), et c’est Euripide qui, parmi « ses innombrables ruses » (μυρίαι μηχαναί, 927) trouvera celle qui permettra de le sauver. Dans le même temps, et plus fondamentalement, Mnésilochos n’assume le rôle de protagoniste que par « délégation » [28] . C’est en effet Euripide qui lui attribue ce rôle et c’est à Euripide que revient le projet au cœur de l’intrigue ; un projet qui implique un déplacement dans un lieu en principe inaccessible, tout comme le projet de plusieurs autres héros aristophaniens ; un projet qui se caractérise donc par son audace et qui, plus que tout autre, nécessite le recours à la ruse et à l’inventivité. Ainsi, lorsque le parent apprend d’Euripide la menace que les femmes font peser sur lui, sa première réaction est de l’interroger sur la μηχανή qu’il entend utiliser pour se tirer de cette situation (87). Quant à Agathon, il dénonce le fait qu’Euripide veuille utiliser des artifices (τεχνάσματα, 198) pour résoudre ses difficultés (συμφοραί), plutôt que de subir les épreuves (παθήματα, 199) qu’elles entraînent ; dans ce reproche et dans cette opposition entre τέχνασμα et πάθημα, Agathon semble reconnaître en Euripide un héros comique plutôt que tragique.
Pour être héros, Euripide n’en reste pas moins poète, et les ruses et l’inventivité du héros viennent se confondre avec celles dont il a coutume comme poète ; le parent ne s’y trompe, lorsqu’il salue l’ingéniosité du plan d’Euripide, en ajoutant qu’il est tout à fait conforme à ses manières de faire (σφόδρ᾿ ἐκ τοῦ σοῦ τρόπου, 93). De fait, l’adjectif κομψός, « ingénieux », qu’utilise le parent pour qualifier le projet d’Euripide semble indissociable de lui, à tel point que dans les Cavaliers (18), Aristophane forge l’adverbe κομψευριπικῶς.
De cette incarnation de qualités revendiquées par le poète et le héros comiques, Euripide devra ici encore payer le prix. Il ne s’agira toutefois plus de procéder par le biais d’une dépossession et d’une réutilisation sauvage de son art, mais il s’agira bien plus de transformer Euripide en poète comique. Cette transformation va plus loin qu’une simple analogie entre le goût de l’innovation manifesté par Euripide et celui revendiqué par Aristophane ; elle va au-delà d’une analogie entre les intrigues euripidéennes et celle mise en œuvre par Aristophane dans cette pièce, quand bien même ces analogies motivent le projet d’Aristophane de faire basculer Euripide du côté du comique [29] . En effet, l’accusation dont Euripide fait l’objet dans les Thesmophories et qui est au point de départ de l’intrigue de la pièce est celle-là même qui devrait viser le poète comique. À travers la mise en scène de Phèdre (153, 497, 547, 550), de Sthénébée (404), de Clytia, la concubine d’Amyntor (413), ou de Mélanippe (547), Euripide a sans doute « mal parlé des femmes » (κακῶς λέγειν, 85), en choisissant des héroïnes en proie au désordre amoureux et à l’infidélité. Ainsi, dans le réquisitoire que Mica dresse à l’encontre d’Euripide, les femmes mises en scène par lui apparaîtraient à la fois comme adultères, nymphomanes, traîtresses et bavardes, mais encore buveuses de vin (392-94). Force pourtant est de constater que dans la suite de son intervention Mica ne cherche pas tant à démentir ces accusations, mais bien plutôt déplore qu’elles aient conduit à renforcer le contrôle que les hommes exercent sur elles [30] ; la plainte a ainsi valeur d’aveu, lorsque Mica note qu’une femme sans enfant qui veut en supposer un ne peut plus le cacher à son mari (407-09). Le même aveu avait été fait par la femme héraut qui, dans les imprécations qui inaugurent l’assemblée des Thesmophories, s’en prend à celui qui dénoncerait une femme qui suppose un enfant (339-40). Ces imprécations valent également d’aveu, lorsque la femme héraut dénonce l’esclave entremetteuse qui vient raconter ce qu’elle sait à l’oreille de son maître ou l’amant qui séduit par de fausses promesses (340-04). Quant au goût immodéré pour le vin qu’Euripide attribuerait aux femmes (393), Mica, après avoir maudit les cabaretiers qui faussent les mesures (347-48), prouvera elle-même la justesse de l’accusation assimilant une outre de vin à son enfant.
Au-delà de cette seule pièce, autant le goût pour le vin qu’une sexualité incontrôlée apparaissent comme des traits récurrents de la figure féminine dans la comédie [31] . Les femmes mises en scène par le poète comique correspondent donc au portrait qu’elles reprochent à Euripide d’avoir fait d’elles ; dès lors, en se voyant attribuer un tel portrait, Euripide se voit assimilé au poète comique, et le procès fait au premier apparaît autant comme le procès fait au second [32] .
En retournant contre Euripide les reproches qu’elles devraient adresser à leur propre poète, les femmes des Thesmophories, et par leur intermédiaire le poète comique lui-même, font preuve d’une habileté elle-même toute euripidéenne. C’est ainsi que le chœur salue en Mica l’esprit tortueux (πολύπλοκος, 435), habile à parler (436), avisé (πυκνός, 438), capable de trouver des arguments variés (ποικίλοι λόγοι, 439). Quant au réquisitoire de la seconde femme, Critylla, s’il est également le fait d’un esprit tortueux (πολύπλοκος, 463), il apparaît encore plus ingénieux (κομψότερον, 460) que celui de Mica ; l’adjectif κομψός est celui-là même que le parent utilise pour qualifier le plan que lui expose Euripide (93). De même le verbe καταστωμύλλω (461) qui désigne la parole bavarde de cette seconde femme répond au participe κατεστωμυλμένος qui qualifie Euripide dans les Grenouilles (1160) et au substantif στωμυλία, « bavardage », qui dans cette même comédie (1069) désigne le contenu même de l’enseignement donné par Euripide. Comme dans les Acharniens, où Euripide se voyait dépouillé de ses pièces par un Dikaiopolis utilisant contre lui les même modes d’action que ceux de son héros Télèphe, Euripide voit ici se retourner contre lui l’art du bavardage qu’il a enseigné à la cité athénienne.
À la différence des Acharniens toutefois, l’Euripide des Thesmophories ne se voit pas dépouillé de ses pièces. Au contraire, pour tenter d’arriver à leurs fins, Mnésilochos seul d’abord, puis Mnésilochos et Euripide ensemble vont exploiter les ressources de quatre de ces drames : le Télèphe, le Palamède, l’Hélène et l’Andromède. Sans doute cette utilisation des drames échoue-t-elle. Faut-il pourtant en conclure qu’Aristophane, à travers cet échec, voudrait démontrer la supériorité de la comédie sur la tragédie ? [33] On peut en douter, dans la mesure où, comme dans les Acharniens, il ne s’agit pas ici du genre tragique en tant que tel, mais bien de la tragédie euripidéenne. Par ailleurs, l’échec d’Euripide n’est pas tant dû aux drames eux-mêmes dont il cherche à exploiter les ressorts, mais bien plutôt aux conditions de leur mise en œuvre. Ainsi Euripide fait-il assumer à son parent un rôle qui est très proche de celui de Télèphe, lorsqu’il lui confie la mission d’aller, déguisé, plaider auprès des femmes la cause de leur ennemi. Toutefois, le parent n’a rien de l’esprit subtil et avisé qu’Euripide pouvait saluer en Dikaiopolis, lorsqu’il lui confiait les habits de Télèphe. Admiratif face aux discours habiles (9) et savants (21) que tient Euripide, le parent n’est lui-même qu’un rustre (ἀγροιώτας, 58), comme le note le serviteur d’Agathon ; l’adjectif ἀγροιώτας est une variante de l’adjectif ἀγρεῖος qu’utilise Agathon lui-même pour désigner le poète étranger à l’art des Muses (ἄμουσος, 159-160), incapable donc de produire une belle poésie (166). L’ignorance poétique de Mnésilochos le rend comparable à Strepsiade dans les Nuées, lui aussi qualifié par Socrate de rustre (ἀγρεῖος, ἄγροικος, 628, 646, 655), du fait de son incapacité à comprendre son enseignement en matière de métrique [34] . Si le parent n’a pas la belle nature qui permet au poète de faire de belles compositions, il n’a pas non plus assimilé le principe mimétique énoncé par Agathon, selon lequel le poète et l’acteur doivent adopter l’habit et les pensées (γνώμη) des personnages mis en scène (148-52) [35] . Si Mnésilochos a bien adopté l’habit d’une femme pour s’introduire parmi les femmes réunies au Thesmophories, en transformant le plaidoyer en faveur d’Euripide en un réquisitoire contre les femmes, il n’accomplit qu’une partie de la mimêsis, puisque ses paroles, à l’évidence, ne sont pas conformes à la pensée d’une femme. De même, lorsque le parent tente d’endosser le rôle de l’Hélène d’Euripide, il se fonde sur son seul costume féminin pour espérer la réussite de la mimêsis (850-51) [36] ; comme la première mimêsis, celle qui conduit le parent à endosser les rôles d’Hélène, puis d’Andromède, sera vouée à l’échec.
L’échec de la tragédie dans les Thesmophories est donc l’échec de la mimêsis telle que l’a définie Agathon et cet échec de la mimêsis est dû à l’incapacité de celui qui devait la mettre en œuvre, Mnésilochos. Il convient à cet égard de noter qu’Euripide pour sa part, qu’il joue le rôle de Ménélas ou celui de Persée, n’est pas démasqué : ni Critylla, ni l’archer scythe ne reconnaissent l’acteur Euripide derrière les rôles qu’il assume, quand bien même ils finissent par comprendre qu’il se joue d’eux (920-21). Relevons à cet égard que Critylla s’adresse à Euripide avec l’appellation d’« étranger » (ὦ ξένε, 882, 893) ; or c’est ce même mode d’adresse que le parent jouant le rôle d’Andromède utilise à l’endroit d’Euripide dans le rôle de Persée (1107). Loin de déceler la mimêsis qu’Euripide met lui-même en œuvre, Critylla et l’archer scythe considèrent le personnage qu’il joue, au même titre qu’eux-mêmes, comme une victime potentielle de la mimêsis à laquelle se livre le parent ; d’où leur souci de révéler aux yeux du personnage joué par Euripide les tromperies et les mensonges dont se rend coupable son parent (874-76, 879-80, 882-84, 892-94, 1111-12). Comme le note Agathon (154-56), davantage que dans les rôles masculins, c’est dans la composition des rôles féminins que la mimêsis revêt une importance primordiale, puisqu’elle est le principe qui permet au poète d’attraper les qualités qu’il ne possède pas naturellement (154-56). Or, dans la dernière partie de la pièce, en jouant le personnage de la vieille Artémisia, Euripide montrera sa capacité à assumer également un rôle féminin.
Tout en transformant Euripide en poète comique, Aristophane montre ainsi que sa tragédie ne résiste pas à cette transformation dès lors qu’elle est assumée par des personnages de comédie dont la rustrerie les rend incapables d’entrer dans la mimêsis tragique ; à travers le rapport de parenté qui lie Euripide à Mnésilochos, Aristophane non seulement établit une parenté entre la tragédie euripidéenne et la comédie, mais il fait en sorte que cette parenté conduise la première à l’échec.
La tragédie mise hors-jeu, Euripide se voit contraint de recourir à des stratagèmes adaptés aux personnages grossiers qu’il a en face de lui (1131-32). La trilogie tragique, formée du Palamède, de l’Hélène et de l’Andromède et qui a échoué dans le sauvetage du parent, sera ainsi suivie d’un quatrième jeu de rôles, dont la position l’assimile à un drame satyrique. De fait la partie finale de la pièce ne peut manquer de rappeler le Cyclope, quand bien même cette pièce est peut-être postérieure aux Thesmophories [37] . Euripide, le poète aux μυρίαι μηχαναί, aux multiples stratagèmes (927), devient ainsi un nouvel Ulysse et la danseuse se substitue au vin pour égarer l’esprit de l’archer scythe, la mise en scène d’un désir sexuel immédiat étant, au même titre que le vin, l’un des ressorts privilégiés du drame satyrique. L’expression de plaisir de l’archer lorsqu’il sent le baiser de la danseuse, παπαπαπαῖ (1191), est de fait identique à celle de Polyphème, lorsqu’il goûte le vin (572). Quant à la question du nom que l’archer pose à Euripide (« quel est ton nom ? », 1200), elle fait écho à la question de Polyphème (« de quel nom dois-je t’appeler ? », 548), tandis que la fausse identité que celui-ci se donne, Artémisia, rappelle la ruse d’Ulysse se faisant appeler « Personne » (549). Enfin, lorsque l’archer, à la recherche d’Artémisia et du parent, se trouve orienté par le chœur successivement dans des directions opposées (1218-26), on se souvient de Polyphème désorienté de la même manière par le chœur des satyres, lorsqu’il tente de mettre la main sur Ulysse (679-88).
Si cette scène finale peut ainsi rappeler le drame satyrique, elle semble également évoquer la comédie qu’Aristophane dans d’autres passages qualifie de φορτική, « ordinaire » [38] , caractérisée par l’obscénité et les situations et plaisanteries les plus faciles et les plus convenues ; comédie dont il prétend à plusieurs reprises se démarquer, au profit d’une comédie caractérisée par l’inventivité, à l’image de la tragédie euripidéenne, mais à laquelle il doit néanmoins concéder une place. En d’autres termes, ce qu’est le drame satyrique à la tragédie euripidéenne, la comédie vulgaire l’est à la comédie aristophanienne. Et de même qu’un auteur tragique se doit de conclure sa tétralogie par un drame satyrique, un auteur de comédies doit accorder une place, notamment au terme de sa pièce, aux éléments les plus ordinaires du genre comique. Au terme des Thesmophories, Aristophane fait ainsi payer à Euripide la proximité qu’il perçoit entre son art et le sien, en lui montrant qu’à vouloir rivaliser avec le poète comique, il doit en assumer toutes les conséquences ; c’est ainsi qu’Euripide se voit contraint par Aristophane d’aller visiter les tréfonds du genre comique ; tréfonds qui sont aussi son cœur et son origine : c’est en effet bien à un kômos que croit avoir affaire l’archer scythe (1176) lorsque l’air persique joué par la flûtiste d’Euripide le réveille et marque le début de cette scène finale. C’est par ce biais qu’Euripide payerait le prix d’une poétique exprimée par une autre cible d’Aristophane, Socrate, lorsqu’il tentait de persuader ses auditeurs, à la fin du Banquet de Platon (233d), « qu’il appartient au même homme d’être capable de composer comédie et tragédie, et que celui qui est avec art poète tragique est également poète comique ».
Pierre Voelke
Université de Lausanne
Université de Lausanne
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Footnotes
[ back ] 1. Je remercie Rossella Saetta Cottone, co-organisatrice de la XIVe rencontre CorHaLi (Université de Lille III, 12-14 juin 2003), qui m’a fait bénéficier de ses remarques lors de la présentation orale de cet exposé et qui m’a généreusement transmis, avant leur publication, deux articles importants consacrés aux Thesmophories (« Euripide, il nemico delle donne » et « Agathon, Euripide et le thème de la μίμησις »).
[ back ] 2. Voir respectivement A. W. Schlegel, Vorlesungen über dramatische Kunst, p. 109-10, F. Nietzsche, La naissance de la tragédie, p. 87-88, 97 (cf. p. 118 : « Le sûr instinct d’Aristophane a certainement touché juste lorsqu’il confondit dans une même haine Socrate, la tragédie d’Euripide et les musiciens du nouveau dithyrambe et qu’il subodora dans ces trois phénomènes les symptômes d’une civilisation décadente »), B. Snell, « Aristophane et l’esthétique ». Voir encore W. Jaeger, Paideia, p. 429-35. Haine personnelle d’Aristophane à l’égard d’Euripide : voir notamment G. Kaibel, « Aristophanes », col. 992.
[ back ] 3. Ainsi P. Pucci, « Aristofane e Euripide », p. 403-12.
[ back ] 4. Voir par exemple G. Murray, Aristophanes, p. 106-34.
[ back ] 5. Voir J. Schmidt, Aristophanes und Euripides, p. 60-78. Sur les reprises posthumes des tragédies d’Eschyle, voir R. Cantarella, « “Plut.” 422-425 e le riprese eschilee ».
[ back ] 6. R. E. Wycherley, « Aristophanes and Euripides », p. 101. Sur le Certamen Homeri et Hesiodi comme modèle de l’agôn des Grenouilles, voir M. Cavalli, « Le Rane di Aristofane ». Voir également N. O’Sullivan, Alcidamas, p. 7-22, 106-50, qui replace l’opposition qu’établit Aristophane entre Eschyle et Euripide dans le cadre des théories antiques des styles.
[ back ] 7. Scholie à Platon, Apologie de Socrate 19c.
[ back ] 8. C. Prato, Euripide nella critica di Aristofane, p. 16-41, avec les critiques justifiées de P. Pucci, « Aristofane e Euripide », p. 402-03 ; H. J. Tschiedel, « Aristophanes und Euripides ».
[ back ] 9. Voir par exemple P. Rau, Paratragodia, p. 50, F. I. Zeitlin, « Travesties of Gender », p. 381-82, 387-88, et en dernier lieu E.-R. Schwinge, « Aristophanes und Euripides », p. 17- 27.
[ back ] 10. Voir à ce sujet J. M. Bremer, « Aristophanes on His Own Poetry », p. 134-43, 160-65, M. S. Silk, Aristophanes and the Definition of Comedy.
[ back ] 11. Sur le rejet de la vulgarité, voir encore Ploutos 796-69.
[ back ] 12. Sur les points de contact entre le poète comique et ses héros, voir X. Riu, Dionysism and Comedy, p. 252-6.
[ back ] 13. Cette idée à l’origine de l’intrigue comique peut être désignée par les termes ἐπίνοια, βούλευμα, νόημα, ἐξεύρημα ; voir Cavaliers 90, 108 (cf. 86) ; Paix 127 ; Oiseaux 162, 195 ; Assemblée des femmes 574, 577, 589. Sur cet aspect du héros comique, voir notamment C. H. Whitman, Aristophanes and the Comic Hero, p. 23-30.
[ back ] 14. Mis en scène par Callistratos, les Acharniens appartiendraient pour les uns à la période qu’Aristophane qualifie lui-même de secrète (Guêpes, 1019-22), durant laquelle il était inconnu du grand public ; en ce sens, voir D. MacDowell, « Aristophanes and Kallistratos ». En revanche, pour G. Mastromarco, « L’esordio “segreto” di Aristofane », et S. Halliwell, « Aristophanes Apprenticeship », cette période secrète serait antérieure à 427 ; lors de la représentation des Acharniens l’identité du poète était donc connue et c’est donc bien à Aristophane que le public attribuait la composition de la pièce, Callistratos n’étant qu’un collaborateur pour la mise en scène. Dans le même sens, avec une discussion et une bibliographie complète de la question, voir en dernier lieu Ch. Brockmann, Aristophanes und die Freiheit der Komödie, p. 202-77.
[ back ] 15. E. L. Bowie, « Who is Dicaeopolis ? », a défendu l’hypothèse selon laquelle Dikaiopolis n’assumerait pas dans ces vers l’identité d’Aristophane, mais celle d’un poète concurrent, Eupolis. La fragilité des arguments avancés a toutefois été mise en évidence par L. P. E. Parker, « Eupolis or Dicaepolis ? ». Les enjeux de cette superposition de voix ont été analysés notamment par L. Edmunds, « Aristophanes’ Acharnians », p. 9-12, A. M. Bowie, « The Parabasis in Aristophanes », p. 29-32, H. P. Foley, « Tragedy and Politics », S. Goldhill, The Poet’s Voice, p. 188-201, N. R. E. Fisher, « Multiple Personalities », Ch. Brockmann, Aristophanes und die Freiheit der Komödie, p. 156-74 (avec une bibliographie complète p. 142, n. 1).
[ back ] 16. Dans les vers 416, 442-4, Dikaiopolis se réfère au discours qu’il destine au chœur et aux choreutes, sans référence à l’identité dramatique qu’ils assument ; d’où l’on peut inférer que c’est la voix de l’acteur plutôt que celle du personnage qui se fait ici entendre ; voir en ce sens F. Muecke, « Playing with the Play », p. 63. Pour S. D. Olson, Aristophanes. Acharnians, ad v. 442-44, c’est à nouveau la voix du poète qui se ferait ici entendre. Dans le même sens, N. W. Slater, « Aristophanes’ Apprenticeship Again », p. 74-75, qui en tire argument pour reprendre la thèse ancienne selon laquelle Aristophane lui-même aurait joué le rôle de Dikaiopolis.
[ back ] 17. H. P. Foley, « Tragedy and Politics », p. 43 : « By linking his comedy and Euripidean tragedy (a link characterized in this play by the term τρυγῳδία), he claims for it the moral authority, literary prestige, and latitude that audiences have always given to more pretentious genres ». Voir les critiques formulées à l’égard de cette thèse par M. Heath, « Some Deceptions in Aristophanes », p. 235-7. Dans le même sens qu’Helen Foley, voir en dernier lieu Ch. Brockmann, Aristophanes und die Freiheit der Komödie, p. 168 : « Hier kann die Komödie die Unterstützung der Tragödie gebrauchen und durch Annäherung an sie ihre eigene Position absichern. Das tragische Gewand und der Mythos bieten Schutz ».
[ back ] 18. Sur le jeu de mot entre τραγῳδία et τρυγῳδία, voir O. Taplin, « Tragedy and Trugedy ».
[ back ] 19. Ce point est noté par P. Rau, Paratragodia, p. 39-40.
[ back ] 20. Voir S. Beta, « La difesa di Diceopoli ».
[ back ] 21. Sur cette réutilisation du modèle de Télèphe dans la figure de Lamachos, voir déjà le commentaire de J. Van Leeuwen, Aristophanis Acharnenses, ad v. 1178 sq. (« Telephi partes non iam agit Dicaepolis, ut in priore fabulae parte, sed Lamachus »), puis H. P. Foley, « Tragedy and Politics », p. 39, A. M. Bowie, Aristophanes. Myth, Ritual and Comedy, p. 30-31, S. D. Olson, Aristophanes. Acharnians, p. LXI.
[ back ] 22. Pindare, Isthmique 8, 49-50 ; cf. Apollodore Epitomè 3, 17.
[ back ] 23. Ce point est noté par S. D. Olson, Aristophanes. Acharnians, ad v. 1218.
[ back ] 24. Le caractère anti-héroïque de ces blessures est noté par P. Rau, Paratragodia, p. 139.
[ back ] 25. Le parallélisme entre ces deux scènes, noté au passage par M. Heath, « Some Deceptions in Aristophanes », p. 232, a été exploré avec acuité par Anne de Cremoux (Université de Lille III), dans une communication intitulée « La tragédie d’Euripide au miroir de la farce mégarienne dans les Acharniens », présentée lors de la rencontre mentionnée supra, n. 1. Sur la « farce mégarienne », voir en dernier lieu R. Kerkhof, Dorische Posse, notamment p. 17-24, pour les références aristophaniennes.
[ back ] 26. En ce sens, J. Van Leeuwen, Aristophanis Acharnenses, ad v. 738, W. J. M. Starkie, The Acharnians of Aristophanes, ad v. 738, S. D. Olson, Aristophanes. Acharnians, ad v. 738-39.
[ back ] 27. Sur cette analogie, voir notamment l’analyse de J. Jouanna, « Structures scéniques et personnages ».
[ back ] 28. Le terme est utilisé par G. Paduano, « Le Tesmosforiazuse », p. 105. Sur le problème du protagoniste dans cette comédie, voir aussi la discussion chez M. G. Bonnano, « ΠΑΡΑΤΡΑΓΩΙΔΙΑ in Aristofane », p. 146-149, qui parle de « dédoublement » ou de « redoublement » du rôle de protagoniste ; la notion de dédoublement apparaît aussi chez J. Jouanna, « Structure scéniques et personnages », p. 266-67. Le rôle de protagoniste est implicitement reconnu à Euripide par G. Murray, Aristophanes, p. 117, et par C. H. Whitman, Aristophanes and the Comic Hero, p. 216-27. En revanche A. H. Sommerstein, Aristophanes. Thesmophoriazusae, p. 6, considère le parent comme le véritable protagoniste.
[ back ] 29. Sur ces analogies, voir les références données supra n. 9
[ back ] 30. En ce sens, voir G. Paduano, « Le Tesmosforiazuse », p. 113 : « A Euripide e Mnesiloco le donne non contestano la verità delle loro denuncie, ma il danno che da queste denuncie a loro viene ».
[ back ] 31. Cf. Lysistrata 212, 715 ; 195-206, 395, 465-6 ; Assemblée des femmes 225, 228, 522-26 ; 14-15, 132-46, 227. Sur ces aspects de la représentation des femmes chez Aristophane, voir R. Finnegan, Women in Aristophanes, p. 101-31, et pour un autre poète comique, Eupolis, voir maintenant I. C. Storey, Eupolis, p. 315-320.
[ back ] 32. Mes conclusions rejoignent ici celles de R. Saetta Cottone, « Euripide, il nemico delle donne » et « Agathon, Euripide et le thème de la μίμησις », qui souligne que l’expression κακῶς λέγειν utilisée à propos du discours d’Euripide sur les femmes (85) est par ailleurs l’expression consacrée pour désigner le discours du blâme pratiqué par les poètes comiques.
[ back ] 33. Ainsi notamment A. M. Bowie, Aristophanes. Myth, Ritual and Comedy, p. 220, et A. H. Sommerstein, Aristophanes. Thesmophoriazusae, p. 10.
[ back ] 34. Ce parallèle est donné par C. Prato, Le donne alle Tesmoforie, ad v. 160.
[ back ] 35. Sur la contradiction ou du moins le saut logique entre ces deux exigences qu’Agathon fixe au poète — nécessité de se conformer aux personnages mis en scène d’une part, conformité de la poésie à sa propre nature d’autre part —, voir notamment le commentaire de C. Prato, Le donne alle Tesmoforie, ad v. 146-72, les remarques de R. Saetta Cottone, « Agathon, Euripide et le thème de la μίμησις », et celles de F. I. Zeitlin, « Travesties of Gender », p. 383-384. Que le premier principe s’applique aussi à l’acteur peut être induit du fait qu’Agathon apparaît lui-même comme acteur de sa propre pièce dans le chant amébée dont il assume les deux parties lors de son apparition (101-21).
[ back ] 36. Comme le relève R. Saetta Cottone, « Agathon, Euripide et le thème de la μίμησις », qui souligne bien le caractère partiel de la mimêsis qu’opère Mnésilochos.
[ back ] 37. Sur la date du Cyclope, voir notamment R. Seaford, « The Date of Euripides’ Cyclops », qui le situe après 411, peut-être en 408. Le rapprochement des vers 1218-26 avec le Cyclope est noté par R. G. Ussher, Euripides’ Cyclops, p. 204, qui propose dès lors d’en faire le drame satyrique de la tétralogie de 412. De façon plus générale, E. Hall, « The Archer Scene », p. 41-3, a rapproché cette scène finale de la catégorie des « escape-dramas », dans laquelle elle range non seulement le Cyclope, mais aussi l’Iphigénie en Tauride, l’Hélène et l’Andromède. Toutefois, plusieurs éléments doivent conduire à privilégier le rapprochement avec un drame satyrique : la position de cette scène finale, après trois tragédies, les parallèles précis que l’on peut établir avec le Cyclope, le fait que l’Hélène et l’Andromède ont déjà fait l’objet d’une parodie spécifique dans les scènes qui précèdent. La reconstitution d’une tétralogie est déjà proposée par A. M. Bowie, Aristophanes. Myth, Ritual and Comedy, p. 224-25, qui interprète la parodie de l’Andromède, avec sa forte dose d’obscénités, comme équivalent d’un drame satyrique, venant après le Télèphe, le Palamède et l’Hélène. Outre le fait que l’Andromède constitue une tragédie, la parodie du Télèphe me semble pouvoir être séparée de la séquence formée par les trois tragédies suivantes, dans la mesure où elle n’utilise pas les mêmes procédés ; que ce soit dans son discours en faveur d’Euripide ou dans la prise en otage du bébé-outre de Mica, le parent ne prétend en effet pas utiliser le rôle d’un personnage euripidéen et le jeu avec le modèle tragique repose davantage sur la transformation qui affecte les personnages et les actions que sur l’utilisation des citations qui reste marginale (cf. 472-73, 518-19, 693-95).
[ back ] 38. Nuées 524, Guêpes 66, Ploutos 796 ; cf. supra p. �.