Discussion Series: Poétique d’Aristophane et langue d’Euripide en dialogue


« Rendre l’homme meilleur ! » Ou quand la comédie interroge la tragédie sur sa finalité : à propos des Grenouilles d’Aristophane [1]

Critiquant l’interprétation, historiquement marquée, de Werner Jaeger qui insistait sur l’ambition éthique d’Aristophane militant, dans les Grenouilles, pour une poésie susceptible d’éduquer les citoyens, cette étude se concentre plus spécialement sur la devise, revendiquée par le personnage d’Euripide, d’une poésie capable de « rendre l’homme meilleur ». Mot d’ordre sérieux ? Certains l’ont affirmé. Mais Aristophane joue du double sens du verbe poiein, « créer » et « procréer », pour soumettre la création poétique et la responsabilité du poète à une série d’exigences aristocratiques qui se révèlent, dans la crise que traverse Athènes à la fin du Ve siècle, dérisoires. À la mémoire de Martin Rousseau

1. Pourquoi faut-il admirer un poète ?

« Rendre les hommes meilleurs » : l’argument serait trop grave, l’ambition trop noble pour qu’on pût seulement insinuer quelque soupçon à l’encontre d’une poésie si sûre de sa vocation. Peu importe les temps de doute que traverse Athènes ! Peu importe que, dans les Grenouilles, il revienne à Euripide, cible favorite d’Aristophane, de révéler la finalité de la poésie ! Issue des débats sur la poésie qui se multipliaient dans l’Athènes du Ve siècle av. J.-C., aucune définition ne nous est restée aussi claire et précise que celle-ci. Comment ne pas lui donner valeur de manifeste ?
Écoutons ainsi la voix d’un spécialiste de l’éducation en Grèce ancienne. Dans l’Allemagne des années 1930, elle aussi plongée dans des heures sombres, Werner Jaeger n’hésitait pas à considérer l’extrait des Grenouilles cité comme l’un des plus importants témoignages du Ve siècle sur la place et la fonction du poète dans la vie de la cité. Pour le philosophe allemand du génie grec, la déclaration d’Euripide reflète un consensus : elle révèlerait un idéal partagé aussi bien par Eschyle, Euripide que par Aristophane [4] .
Certes, Jaeger est d’accord avec Ulrich von Wilamowitz pour contester la thèse d’une comédie à vocation morale et pédagogique [5] , mais il n’en conclut pas moins qu’Aristophane constitue un cas à part et l’Aristophane des Grenouilles plus encore. Lisant la parabase de cette comédie, il n’hésite pas à reconnaître la propre ambition d’Aristophane dans les propos du coryphée soucieux de « donner et enseigner d’utiles avis à la cité » [6] . Davantage, c’est toute la comédie qui lui paraît marquée, jusque dans chacune des lignes du texte, par « les craintes atroces qu’Aristophane éprouvait pour l’avenir d’Athènes » [7] . Bien sûr, Jaeger est influencé par le contexte historique d’une Allemagne dérivant vers la tyrannie fasciste. Choisissant l’exil en 1936 [8] , il pouvait difficilement ne pas être sensible au climat social qui régnait dans l’Athènes des années 409-404 : l’angoisse de Jaeger retrouvait ainsi, des siècles après, celle d’Aristophane. En des temps si sombres, on n’écrit pas un livre sur la Paideia grecque sans défendre un système de valeurs. Quand à la fin des Grenouilles, Pluton invite Eschyle à « sauver la cité par de bons conseils » et à « éduquer les sots » [9] , Jaeger se réjouit de ce « langage hardi » qui réhabilite la vraie fonction politique de la tragédie, une fonction dont Aristophane se ferait finalement le digne héritier :

En ces circonstances malheureuses, le plus grand de tous les poètes comiques insistait une fois de plus sur le lien intime existant entre l’esprit et l’avenir de l’État, sur la grande responsabilité qui incombe au génie créateur vis-à-vis de la communauté. C’est de cette façon que la comédie réalisa pleinement sa grande mission éducative [10] .

L’inquiétude des Athéniens de 405 est un fait indéniable. Mais on aurait tort, du coup, de faire basculer tout le drame du côté de la sentence sérieuse. Tort aussi d’oublier l’ironie sur certains lieux communs. Aristophane est et reste un professionnel de l’effet comique. Que faut-il vraiment penser d’un vieux poète, ressuscité après un demi siècle, pour sauver une cité qui n’est plus vraiment la sienne ? La poésie avait-elle encore la force de prétendre à une fonction politique qu’elle n’avait d’ailleurs, jusque-là, jamais revendiquée aussi explicitement ? Ou la comédie jouait-elle, dans l’amertume, à sourire d’une prétention désormais définitivement vaine ? Malgré les heures sombres d’Athènes, j’opterais ici pour la leçon d’un Aristophane plus que jamais ironique. Bien avant Platon, c’est lui qui a commencé le procès des prétentions éducatrices de la poésie grecque, du moins de la poésie épique et tragique tandis que la comédie se garderait le droit d’un dernier mot.

La fonction du poète ? « Rendre les hommes meilleurs ! » Le propos est trop clair pour ne pas cacher autre chose. La comédie est comme la tragédie, mais sur un mode différent, porteuse d’une parole à double sens. On ne gagne rien, dans le théâtre athénien, à isoler trop vite une affirmation trop évidente. Chaque nouvelle réplique est là pour retourner la précédente [11] . Les commentateurs modernes reconnaissent volontiers qu’Aristophane marie génialement le comique et le sérieux, mais, trop souvent, le postulat ne sert qu’à reléguer au second plan la dimension comique [12] . Suggérons au moins, contre une idéalisation trop rapide de la fonction poétique, que, dans une Athènes en proie aux pires doutes, Aristophane a pu être franchement ironique en imaginant un Euripide se targuant de vouloir rendre l’homme meilleur. Sans rien nier de la profondeur des questions abordées dans les Grenouilles, on ne pourra rendre justice au propos d’Aristophane qu’en faisant la part du comique.

2. Retrouver quelques effets comiques

S’agissant d’Aristophane, les choix interprétatifs se révèlent fortement influencés, pour ne pas dire déterminés, par une certaine forme de sensibilité à l’humour du poète. Les heures sombres de l’histoire athénienne pouvaient transformer le rire en sourire compatissant, elles ne pouvaient effacer toute une série d’effets comiques qu’il importe de prendre en compte. Dans les Grenouilles, Eschyle et Euripide sont moins les prisonniers de l’Hadès que les otages de l’univers d’Aristophane. Écoutons alors le mot de Dionysos qui arbitre le débat.
Eschyle a posé sa question à Euripide : quelle peine pour le poète qui échouerait à rendre les hommes meilleurs ? Mais c’est Dionysos qui se hâte de répondre :

— La mort ! ce n’est pas à lui qu’il faut le demander !

La mort ? Mais que penser d’une peine capitale dans le monde des morts ? [13] Les commentateurs antiques avaient déjà observé le non-sens d’une sentence capitale prononcée dans l’Hadès. N’oublions pas non plus que, dans les Grenouilles, tout se joue à l’envers : « Qui sait si vivre, c’est autre chose qu’être mort ? » [14] Au jeu des inversions comiques, on peut alors se demander si la plus forte des peines n’est pas de devoir retourner dans l’Athènes réelle menacée de perdre la guerre ? N’oublions pas non plus comment l’intrigue des Grenouilles substitue au concours pour un titre royal dans l’Hadès une joute qui verra le vainqueur retourner chez les vivants [15] .

L’effet comique est aussi un fait de culture. Conquérir un trône dans l’Hadès ou revenir chez les vivants ? Vieux dilemme dont l’Odyssée avait déjà donné une version. Souvenons-nous d’Ulysse visitant les âmes des défunts et s’adressant à Achille, son rival de toujours : « Te voilà maintenant, ici, le puissant maître des morts. Non, Achille, ne t’afflige pas de la mort ! » À quoi Achille répondait aussitôt qu’à un règne chez les morts il préférait un sort de serviteur travaillant au champ d’un maître même modeste [16] . C’est là, dans la tradition épique, le dernier face à face des deux plus grands héros achéens.
L’épopée déjà avait remis en cause l’idéal de la mort héroïque et d’une gloire au pays des ombres. Dans les Grenouilles, Euripide et Eschyle rejouent la scène à leur façon, sans qu’il faille se demander quel poète correspond à quel héros. Le langage de la ruse appartient ici à Aristophane seul. Eschyle et Euripide sont bernés d’entrée de jeu : le trône qu’ils se disputent n’est jamais que celui de meilleur poète tragique au pays de la comédie. Et, à la fin du drame, la différence entre la peine capitale et le droit à revivre s’estompe quand Eschyle, vainqueur, regagne moins Athènes qu’il ne disparaît aux yeux des Athéniens.
Mais il est un deuxième trait comique que l’interprétation moralisatrice de notre scène a également effacé. Dans la question adressée à son rival, Eschyle parle du poète en général et Euripide répond en assumant le rôle de porte-parole de tous les poètes. La généralisation ne doit rien occulter du jeu complexe de démarcations subtiles auquel Aristophane se prête, dans cette scène, en laissant à un poète tragique le soin de parler, dans une comédie, au nom de tous les poètes. Dans ce passage, le comique de la situation est précisément lié à l’opposition et à la confusion des registres tragique et comique. Invités à faire la publicité de l’art poétique, Eschyle et Euripide, poètes tragiques par excellence, sont, en fait, invités à se livrer à un exercice qui est normalement le propre de cette sous-partie de la parabase qu’on appelle anapestes ou parabase proprement dite. Il ne nous échappera pas alors que, dans cette partie de l’agôn, Eschyle et Euripide débattent en tétramètres anapestiques : le mètre ordinaire de la parabase proprement dite chez Aristophane [17] . L’agôn n’interdisait pas un tel mètre, il ne l’exigeait pas non plus : l’usage étant que chacun des adversaires choisisse, pour son plaidoyer, un mètre différent. Si Euripide a choisi le tétramètre iambique, Eschyle a choisi, lui, le tétramètre anapestique. Interrogé par Eschyle, Euripide est alors contraint, pour ne pas briser le rythme du plaidoyer de son adversaire, de répondre avec un mètre grave qui, dans sa bouche, prend une valeur ironique [18] .
Obliger un poète tragique à se livrer à l’exercice d’une parabase dans le contexte d’un agôn revient à lui demander un exercice impossible, puisque le mot d’ordre de l’intention poétique, loin d’être mise en valeur, sera l’objet inévitable d’une réfutation. « — Pourquoi faut-il admirer l’homme poète ? — Pour son habileté et sa raison ! Parce que nous rendons les hommes meilleurs dans les cités ». Placé dans la bouche d’un poète tragique comiquement obligé à se livrer à l’exercice périlleux d’une parabase dans le cadre d’un agôn, l’argument d’une poésie visant à rendre l’homme meilleur est ici objet de parodie. L’observation pourrait suffire à dénoncer l’illusion de ceux qui ont voulu y lire une profession de foi trop sérieuse.

3. Le poète façonneur d’hommes

Mais, c’est à un troisième effet comique que je voudrais plus particulièrement m’intéresser. Les vers 1008-10 posent la question du rôle de la poésie en se concentrant plus précisément sur la personne du poète comme figure sociale susceptible d’admiration (« pourquoi faut-il admirer l’homme poète ? »). C’est la responsabilité publique du poète en tant que créateur qui est ici en cause, avec cette curieuse formule, traduite jusqu’ici littéralement, d’« homme poète » (ἄνδρα ποητήν), sur le modèle sans doute de l’« homme citoyen » ou de l’« homme athénien » interpellé par les orateurs [19] . C’est bien du poète en tant qu’« homme viril » (anêr) qu’il est question ici ; je vais y revenir. Mais, plus encore que le terme anêr, c’est au nom même du poète qu’il convient d’abord de s’intéresser. Allant de la question d’Eschyle à la réponse d’Euripide, encore suivie par la réplique d’Eschyle, on relève, dans ces vers, une figure étymologisante qui met en évidence la racine *poi-, exprimant l’idée de faire. Littéralement, le poiêtês (ou poêtês) désigne un « faiseur », un « créateur ». En expliquant que la fonction du poiêtês consiste à « faire/rendre » (cf. ποιοῦμεν) les hommes meilleurs, le personnage d’Euripide met en évidence le sens premier du terme poiêtês : il définit la responsabilité du poète par rapport à sa fonction première : l’acte même du poiein. Mais ici la poiêsis renvoie moins à la production d’un chant ou d’un poème qu’à une transformation du public écoutant le poète. Prolongeant le débat avec une nouvelle question, Eschyle insiste à son tour sur cette responsabilité anthropopoiétique [20] du poète : « et si tu n’as pas fait (πεπόηκας) cela, mais que d’excellents et de belle naissance qu’ils [les Athéniens] étaient, tu les as montrés plus mauvais, quel sort, dis-le moi, mérites-tu ? »
Défini par rapport à sa compétence et à sa responsabilité anthropopoiétiques, le poète, sans qu’il soit encore question de mimésis [21] , doit ici répondre de l’influence qu’il exerce sur un public qu’il façonne et forme, rendant meilleurs ou pires ceux qui l’écoutent, et cela alors que se trouve soulignée sa qualité d’anêr. Le rôle d’éducateur est aussi un rôle de créateur ou de concepteur qui voit le poète façonner et finalement engendrer son public. La compétence poétique se trouve ici ramenée à une compétence poiétique, qui est d’abord anthropopoiétique. Le poète est celui qui agit sur l’autre, qui le transforme, le forme et finalement le fait naître autre. Il est faiseur ou créateur d’hommes, qu’il s’agisse de ses personnages ou de son public.
Mais où Aristophane veut-il en venir avec cette mise en valeur de la racine *poi– ? L’écriture d’Aristophane insiste trop sur cette racine, dès les premiers vers de la pièce [22] , pour que l’on n’y regarde pas de plus près. Qu’en est-il d’une anthropopoiêsis dans les Grenouilles ?

4. Faiseur de sauvages contre faiseur de boiteux

« Rendre les hommes meilleurs ! » Soit, belle prétention ! Mais revenons en arrière, à la scène qui introduit l’agôn. Euripide et Eschyle apparaissent pour la première fois devant les spectateurs, joutant d’invectives. Au nombre des insultes croisées, trois m’intéressent directement :

EURIPIDE :
Je le [Eschyle] connais le bonhomme, il y a longtemps que je l’ai passé à jour, ce faiseur de sauvages (ἀγριοποιόν), au verbe présomptueux, avec sa fougue sans frein, sans retenue, sans barrières, bavard que rien ne déconcerte, fagoteur de mots pompeux.
ESCHYLE :
Vraiment, ô fils de la déesse … agreste,
c’est toi qui me traites ainsi, collectionneur de fadaises, faiseur de mendiants (πτωχοποιέ), raccommodeur de loques. Mais tu ne te réjouiras pas de parler de la sorte.
DIONYSOS :
Cesse Eschyle.
« Ne va pas, t’emportant t’échauffer de colère ».
ESCHYLE :
Non certes, pas avant que j’aie montré clairement ce qu’il vaut, ce faiseur de boiteux (χωλοποιόν), pour être si insolent. [23]

L’arrivée des deux poètes tragiques est fracassante. « Faiseur de sauvages, faiseur de mendiants, faiseur de boiteux » ! Trois adjectifs composés en –poios, le premier dans la bouche d’Euripide, les deux autres dans celle d’Eschyle. Τrois néologismes sur le modèle des nombreux adjectifs composés en –poios. Aristophane se fait ici faiseur de mots pour mettre en scène le face à face des poètes tragiques. Ces trois insultes, nouvelles dans le corpus de la littérature grecque qui nous est conservée ont ceci de remarquable qu’elles renvoient à la fonction poiétique : en ce sens, ce sont des insultes particulièrement pertinentes pour injurier un poète. Quelques répliques plus loin, Dionysos peut toujours remarquer qu’« il ne convient pas à des hommes poètes (ἄνδρας ποητάς) de s’insulter comme des vendeuses de pain » [24] , il ne nous échappera pas qu’au passage les deux poètes ont été les premiers à postuler le pouvoir créateur d’une poésie fabriquant des hommes. Il ne nous échappera pas non plus que Dionysos introduit, en même temps, la formule d’« hommes poètes » (ἄνδρας ποητάς), qu’Eschyle lui reprend bientôt. À Athènes, c’est aux citoyens que les orateurs rappellent sans cesse leur qualité d’andres, d’« hommes » définis par leur virilité et leur courage : deux notions indissociables, constitutives de l’anêr. C’est aux citoyens qu’il convient de se reproduire et de ne rien oublier de leur andreia (« courage »). Répété à deux reprises dans les Grenouilles, le syntagme d’« homme poète » suggère que la virilité serait plus précisément encore l’affaire du poète, lui qui doit « faire » (ποιεῖν), au sens d’« engendrer » cette fois, des hommes meilleurs.

D’emblée donc, dès leur entrée sur scène, Eschyle et Euripide mettent en cause, à coup d’offenses échangées, leur qualité poiétique. Pour reconnaître définitivement que cette qualité confond désormais le pouvoir créateur et la faculté reproductrice de l’homme, qu’il suffise d’écouter encore comment Eschyle se défend d’avoir « créé » un cheval-coq qui serait autre chose qu’un « emblème » (σημεῖον) gravé sur les navires. Tandis qu’Euripide ironise sur les curieuses créatures produites par le théâtre de son rival, Eschyle se défend en prétextant qu’il a simplement décrit des « emblèmes » gravés sur les navires. Mais Euripide insiste et se demande s’il est convenable de « faire » (ποῆσαι) un coq dans une tragédie [25] . Toute l’erreur serait de traduire ici le verbe poiein (employé ici à l’aoriste : ποῆσαι) par « représenter ». Il n’y aurait rien à reprocher au poète qui ne ferait que « représenter » un cheval-coq « emblème ». Autrement responsable est celui qui aurait le pouvoir de faire naître une telle créature. Le statut de la fiction est pour nous une évidence qui ne fait plus problème. Ce n’était pas le cas pour les Grecs qui pouvaient jouer plus librement avec le double sens du verbe poiein, « créer » et « représenter ». Comment des poètes qui se qualifient réciproquement de « faiseurs de boiteux et de sauvages » pourront-ils « créer un homme meilleur » ? Aristophane oblige les deux poètes tragiques à assumer jusqu’au bout leur compétence poiétique et le monde qu’ils créent.
La discussion ne porte pas ici sur ce que le théâtre représente ou non, mais sur ce qu’il crée effectivement. Quand Eschyle l’interroge : « Et toi, détesté des dieux, qu’est-ce que c’était donc que tu « produisais » (ἐποίεις) ? » [26] , Euripide répond, fier de pouvoir invoquer une tragédie allégée, plus démocratique : « Moi je ne stupéfiais pas les spectateurs en produisant (ποιῶν) des Cycnos, des Memnons montant des coursiers aux harnais de sonnailles » [27] . Entre ses personnages et Eschyle, c’est bien une filiation héroïque que l’acte de la poiêsis établit. Eschyle est à sa façon héros fondateur de lignée.
Le débat ne s’arrête pas là, mais interrompons-le un instant pour souligner d’ores et déjà l’originalité du propos d’Aristophane. Dérivé du verbe poiein, le nom du poète n’a pas encore, à la fin du Ve siècle, une histoire bien longue. Les plus anciennes occurrences du terme poiêtês, au sens de « poète », attestées pour nous dès Hérodote, renvoient à l’intelligence constructive de celui qui, à la façon du charpentier ou du tisseur, fabrique son poème en recourant à une technique [28] . L’originalité du point de vue d’Aristophane est de nous rappeler la double valeur du verbe poiein, qui recouvre un riche champ sémantique, allant de la fabrication technique à la création naturelle, confondant culture et nature. S’il n’oublie rien de l’intelligence technique et constructive du poiêtês [29] , Aristophane pose, on va le voir, pour la première fois la question de sa compétence de géniteur. Mais n’allons pas si vite et intéressons-nous un instant à une valeur de la poiêsis telle que la définit le droit athénien et telle que l’oublie trop souvent.

5. La poiêsis entre nature et culture

Revenons sur les adjectifs composés en –poios. Il apparaît que ces composés, promis à un riche développement, ne sont encore à l’époque d’Aristophane que moyennement nombreux. En premier lieu, comme le relèvera plus tard Aristote, ils sont employés pour désigner, dans le langage courant, différents genres de poètes : « ajoutant au nom du mètre le [verbe] poiein, on nomme ainsi les elegeio-poioi (faiseurs d’élégies), les epopoioi (faiseurs d’épopée) » [30] . Mais, pour créer ses insultes en –poios, Aristophane dispose, en fait, d’un second modèle, en l’occurrence plus pertinent. Attestés dès Hérodote, on trouve pour qualifier le parent, qui engendre et met au monde, deux adjectifs en –poios qu’il importe de rapprocher de nos insultes : il s’agit des adjectifs paidopoios et teknopoios que l’on peut traduire littéralement par « faiseur d’enfant » et qui peuvent se dire aussi bien d’un homme que d’une femme [31] .
Remarquons aussi, avec la même formation, les dérivés verbaux correspondants : paidopoiein, « faire un enfant », qui s’emploie, à l’actif, autant pour la femme qui « met au monde » autant que pour l’homme qui « fait un enfant » à une femme : (ἐκ γυναικὸς παιδοποιεῖν) [32] ; tandis que le verbe teknopoiein, sans que cela soit systématique, s’emploie plutôt pour les femmes à l’actif et pour les hommes au moyen [33] . Signalons, dans ce rapide inventaire, un passage des Mémorables où, abordant la question de l’inceste, Xénophon emploie avec insistance les verbes paidopoiein et teknopoiein. Le passage n’est pas sans intérêt pour notre propos, il révèle, dans les milieux intellectuels de la fin du Ve siècle, un débat sur la poiêsis et la paidopoiêsis ; il met, par ailleurs, en évidence le rôle premier de la semence masculine dans la paidopoiêsis ou paidopoiia [34] . Hérodote déjà qualifiait, de son côté, le sperme de paidopoios [35] . On se rapproche ici de la poiêsis comme activité caractéristique de l’anêr, tandis que la femme en est remarquablement écartée.
À l’époque d’Aristophane, le terme poiêsis (« création ») s’est sans doute déjà spécialisé pour désigner, comme le relève Platon dans le Banquet, l’activité poétique [36] , mais sans avoir rien perdu de son sens premier et plus général de « création » [37] . Parallèlement au sens de poésie, subsiste ainsi une série d’emplois qui associent la poiêsis à cette forme de création par excellence qu’est la mise au monde d’un enfant.
Quelle différence alors entre la genesis (le fait même d’engendrer) et la poiêsis ? Dans l’un des petits entretiens du Dialogue des dieux de Lucien, Pan se présente à son père Hermès, qui semble l’avoir oublié et qui s’amuse de son aspect. Mais Pan tient à se faire reconnaître ; « bâtard » (μοιχίδιος) ou non, il est bien, malgré son aspect, fils d’Hermès : « c’est ton propre fils, mon père, que tu ridiculises si bien, ou plutôt toi-même puisque tu as engendré une telle créature et fait un tel fils (τοιαῦτα γεννᾷς καὶ παιδοποιεῖς) » [38] . Pan place Hermès devant sa double responsabilité de père géniteur (cf. γεννᾷς) et de père paidopoios, une double responsabilité que le dieu refuse finalement d’assumer publiquement :

HERMÈS :
Sais-tu mon fils quel plaisir, je te demande avant tout ?
PAN :
Commande mon père et je verrai.
HERMÈS :
Viens vers moi, montre-moi ta tendresse, mais ce nom de père prends garde à ne pas le prononcer devant d’autres ! [39]

Si l’on regarde, en effet, du côté du droit athénien, la paidopoiêsis désigne une reconnaissance de paternité. Comme l’a rappelé et démontré Jean Rudhardt, dans l’Athènes classique, la naissance d’un enfant libre ne suffit pas en elle-même à lui conférer des droits [40] . Pour que l’enfant soit pleinement établi dans son identité sociale, il importe que la genesis soit complétée par une poiêsis. Remarquons que ce dernier terme est aussi employé pour désigner l’acte d’adoption. Pour comprendre cet emploi, il suffit de rappeler que la procédure d’adoption vise dans ses grandes lignes à reproduire la procédure par laquelle un père reconnaît ses enfants et leur attribue leur statut légal : faisant d’eux ses enfants [41] .

Procédure complexe et progressive (qui passe par la dation du nom, la présentation à la phratrie, puis au dème pour aboutir à l’inscription sur le registre lexiarchique), la poiêsis prolonge la genesis sur le plan social et permet au père d’apparaître socialement comme le créateur de son fils [42] . Alors que la genesis définit la naissance comme un fait relevant de la nature, la poiêsis désigne un processus qui englobe une origine naturelle et une pratique culturelle : au pouvoir générateur du sperme paidopoios correspondent, après la naissance, les actes par lesquels le père finit de reconnaître et de « créer » (poiein) son enfant. Au passage, on relèvera comment la pratique juridique permet au père de s’approprier la création de l’enfant, alors qu’au départ le père aussi bien que la mère ont la vertu d’être paidopoioi.
« Faiseur de sauvages, de boiteux, de mendiants » : les insultes d’Eschyle et d’Euripide cherchent à atteindre l’honneur viril de qui ne sait pas engendrer des enfants semblables au père. À moins que leurs enfants « sauvages, boiteux et mendiants » soient bien l’image de leur être profond. On peut alors pleinement douter du sérieux avec lequel Aristophane laisserait Euripide revendiquer un théâtre à même de produire des hommes meilleurs. « Faiseur de boiteux et de mendiants », Euripide est-il vraiment le mieux placé pour « faire des hommes meilleurs » ? On comprend aussi l’utilisation du syntagme inattendu d’« homme poète » : c’est bien du pouvoir reproducteur du poète qu’il est question.
Mais on ne saurait s’arrêter ici. En jouant sur les valeurs du verbe poiein, Aristophane n’entend pas seulement développer une thématique originale qui confronterait le poète à sa responsabilité procréatrice d’anêr. En recourant à la métaphore du « poète créateur » (ἄνδρα ποητήν), Aristophane entend soumettre l’éthique de la poiêsis aux critères mêmes de l’eugeneia :cet idéal de « la belle naissance » si cher aux Athéniens et précisément mis en cause dans les Grenouilles.

6. Légitimité de la poiêsis

« Rendre l’homme meilleur », mais aussi « créer un homme meilleur » : la compétence anthropopoïétique pose, en fait, un grave problème dont on devine qu’il sera, comme toutes les solutions eugéniques, insoluble. Que veut dire « meilleur » ? « Meilleur » par rapport à quels critères ? Sur ce point, Eschyle et Euripide n’arrivent guère à s’entendre et la prétention d’excellence semble, à chaque fois, se retourner en son contraire. Que « meilleur » désigne le plus brave à la guerre, comme le revendique Eschyle, et Dionysos peut lui reprocher d’avoir mal agi en rendant également l’ennemi plus vaillant [43] . Que « meilleur » renvoie à une prétention aristocratique sur la belle naissance et tout s’embrouille encore.
On notera, en effet, dans cette comédie l’importance du vocabulaire liée à la belle naissance et à la légitimité que le bien naître peut conférer. C’est d’abord cette discussion décalée où Dionysos oppose le pipi stérile du poète sans talent, « urinant sur la tragédie (προσουρήσαντα τῇ τραγῳδίᾳ) », au discours « bien né » (γενναῖος) du « fécond » (γόνιμος) Euripide [44] . C’est plus tard, dans la parabase, le coryphée qui s’inquiète d’une cité dédaignant les « citoyens de belle naissance » (εὐγενεῖς) [45] . C’est surtout Eschyle qui dénonce comment Euripide a finalement manqué de rendre meilleurs les citoyens, lui qui, d’« honnêtes » (χρηστῶν) et « de belle naissance » (γενναίων) qu’ils étaient, les a rendus « tout à fait mauvais » (μοχθηροτάτους) [46] . Car Eschyle prétend avoir légué à Euripide, qui les aurait dénaturés, des citoyens « de belle naissance » (γενναίους) [47] . Eschyle revendique la légitimité de son théâtre. Il se vante d’appartenir à la lignée de ces poètes « bien nés » (τῶν ποιητῶν οἱ γενναῖοι γεγένηνται) qui savent, mieux que les autres, se montrer « utiles » (ὠφέλιμοι) [48] . Qu’attendre, en revanche, d’Euripide, le poète à l’origine obscure [49] qui prostitue ses personnages féminins [50] et déshonore, par son théâtre, « ces épouses de belle naissance et d’hommes bien nés (γενναίας καὶ γενναίων ἀνδρῶν ἀλόχους) » [51] que sont les Athéniennes. La formule est ici redondante et, pour un peu, on pourrait entendre que ce sont les nobles maris qui ont engendré leurs nobles épouses.
On sait que l’aristocratie athénienne s’est longtemps nourrie de la conviction, validée par le mythe de l’autochtonie, d’une transmission héréditaire de la valeur. D’un Athénien, défini comme un kalos kagathos (« bon et noble », s’il faut rendre ce syntagme intraduisible) ne pouvait et ne devait naître qu’un autre Athénien kalos kagathos. Dans les Grenouilles, si le terme même d’eugeneia n’apparaît jamais, la question de la « belle naissance » est indissociable de cet autre débat qui invite le poète à « créer » (ποιεῖν) des hommes meilleurs. Jusqu’au bout, Aristophane exploite les métaphores et le double sens des mots qui lui permettent de penser la création poétique comme une procréation. Sur ce terrain, Eschyle semble l’emporter lorsqu’il démontre comment il a su « enfanter » (τίκτειν) les paroles qui convenaient aux grandes pensées de ses personnages [52] , tandis qu’Euripide, mari cocu, n’aurait produit qu’un théâtre bâtard.
Certes, la palme de la légitimité revient à Eschyle. Mais la question doit être posée : pourquoi Aristophane développe-t-il à ce point la thématique d’une poiêsis qui assimile la création poétique à une procréation naturelle ? Que gagne-t-il à soumettre l’invention poétique aux critères et aux impératifs de l’idéal de l’eugeneia telle que la défend Eschyle ?
Peut-on vraiment croire à une poésie qui travaillerait à produire des hommes meilleurs ? Dans une Athènes où les grandes familles aristocratiques ont toujours été convaincues que la transmission de la valeur était un fait génétique et héréditaire, la question posée par Aristophane prend tout son sens. Mais surtout, il importe de rappeler que, dans l’Athènes des années 406-5, l’idéal aristocratique de l’eugeneia est fortement mis à mal. Épuisée par la guerre et faisant entorse à la règle du citoyen soldat, Athènes a recouru, durant l’été 406, aux esclaves pour équiper sa flotte [53] . Et pour motiver et récompenser les esclaves valeureux au combat, Athènes leur aurait offert, après la bataille des Arginuses, la liberté [54] . Aristophane y fait maintes allusions, surtout à travers le personnage de Xanthias qui regrette de n’avoir pu prendre part au combat naval [55] . Dans la parabase, le coryphée revient sur l’événement. Il se scandalise que des esclaves aient pu recevoir la liberté après une bataille, alors que des généraux de longue date, fils de combattants athéniens, forts de plusieurs campagnes, avaient été eux condamnés à mort pour avoir manqué de recueillir les soldats qui se noyaient. Si la différence de traitement choque le coryphée, il n’en applaudit pas moins l’affranchissement des esclaves comme « la seule chose sensée » récemment décidée à Athènes [56] . Il est clair désormais qu’à la guerre un esclave peut valoir un Athénien.
La faillite de l’idéal de l’eugeneia est un thème majeur des Grenouilles. Mais c’est sans doute l’épisode de la joute entre Dionysos et Xanthias qui l’illustre le mieux. Après avoir échangé, repris et encore échangé leurs vêtements, Dionysos et Xanthias se retrouvent devant Éaque, confondu, qui ne sait plus, face à eux, qui est qui du dieu ou de l’esclave. Xanthias suggère l’épreuve de la bastonnade où l’on devrait reconnaître à coup sûr le dieu insensible à la douleur. Mais justement Dionysos est un dieu différent, peureux et à la peau délicate, tandis que Xanthias est un esclave courageux et aguerri aux coups.
Entendant le conseil de Xanthias, Éaque se réjouit aussitôt de l’homme de « noble naissance », gennadas, qui a émis cette courageuse proposition [57] . L’adjectif gennadas est rare, mais l’on n’a aucune raison de vouloir atténuer son sens premier : si la naissance et l’origine d’un homme font sa valeur, l’épreuve de la bastonnade est là pour révéler la noblesse de cette origine. Et l’on sait comment dans cette épreuve, concours symétrique de celui qui va bientôt opposer Eschyle et Euripide, l’esclave Xanthias résiste aussi bien aux coups, sinon mieux, que le dieu immortel douillet à la douleur. Que vaut l’idéal de l’eugeneia si l’origine de l’individu n’implique plus sa valeur et si un esclave mortel peut se faire passer pour son maître, qui plus est, immortel ? Dans une Athènes où la transmission héréditaire de la valeur n’est plus certaine, qui peut légitimement promettre qu’il fera des hommes meilleurs ?
On aurait pu s’attarder encore à montrer comment cette revendication de la fonction poétique, si idéale aux yeux de certains commentateurs modernes, n’était, dans l’Athènes de la fin du Ve siècle, qu’un lieu commun déjà bien usé [58] . Mais l’essentiel était ici de vérifier comment Aristophane travaille à ruiner la prétention d’un poète tragique militant, au sein d’une comédie, pour un théâtre capable de « rendre l’homme meilleur ».
En exploitant la métaphore du poète géniteur et de la poésie comme procréation, Aristophane n’a pas manqué de renvoyer à un contexte politique qu’il a récupéré pour contester l’idéal athénien de l’eugeneia. Dès lors qu’un esclave peut se révéler meilleur qu’un citoyen bien né, à quoi bon produire un théâtre riche de figures renommées ? Aristophane n’a jamais voulu ravir à Euripide et à Eschyle une prétention qui s’avère vaine, il lui suffit de révéler qu’un esclave peut être meilleur que la tradition le laisse croire.
David Bouvier
Université de Lausanne

Ouvrages cités

Françis Affergan et al. (éds), Figures de l’humain. Les représentations de l’anthropologie, Paris, Editions de l’EHESS, 2003
David Bouvier, « Quand le poète était encore un charpentier… Aux origines du concept de poésie », in Poétiques comparée des mythes. En hommage à Claude Calame, éd. U. Heidmann, Etudes de Lettres, 2003/3, p. 85-105.
—, « Le pouvoir de Calypso : à propos d’une poétique odysséenne », in La mythologie et l’Odyssée. Hommage à Gabriel Germain, éd. A. Hurst & F. Létoublon, Genève, Droz, 2002, p. 69-85.
Kenneth J. Dover, Aristophanes. Frogs, Oxford, Clarendon Press, 1993.
Andrew Ford, A Study of Early Greek Terms for Poetry: « Aoide », « Epos » and « Poiesis », Ann Arbor/Yale, University Microfilms International, 1981.
Simon Goldhill, The Poet’s Voice. Essays on Poetics and Greek Literature, Cambridge, University Press, 1991.
Werner Jaeger, Paideia. La formation de l’homme grec, trad. A. et S. Devyver, Paris, Gallimard, 1964, éd. or.: Paideia. Die Formung des griechischen Menschen, vol. I, Berlin/Leipzig, De Gruyter, 1936 (2e éd.).
Claudine Leduc, « L’adoption dans la cité des Athéniens, VIe siècle – IVe siècle av. J.-C. », Pallas, 48, 1998, p. 175-202.
Penelope Murray, Plato on Poetry, Cambridge, University Press, 1996.
Francesco Remotti, « Thèses pour une perspective anthropopoiétique », in La fabrication de l’humain dans les cultures et en anthropologie, éd. C. Calame & M. Kilani, Lausanne, Payot, 1999, p. 15-31.
Jean Rudhardt, « La reconnaissance de la paternité, sa nature et sa portée dans la société athénienne », Museum Helveticum, 19, 1962, p. 39-64.

Footnotes

[ back ] 1. Enrichie par les suggestions précieuses des participants au colloque Corhali de juin 2003 (La tragédie d’Aristophane), cette étude présente, sous une forme abrégée, une réflexion plus générale sur le concept de poiêsis en Grèce antique. Pour d’autres étapes de ce parcours, cf. D. Bouvier, « Quand le poète était encore un charpentier » et « Le pouvoir de Calypso ».
[ back ] 4. W. Jaeger, Paideia, p. 432.
[ back ] 5. Ibid., p. 415. Jaeger ne donne pas de référence particulière pour ce jugement de Wilamowitz.
[ back ] 6. W. Jaeger, Paideia, p. 434. Pour le texte cité, cf. Aristophane, Grenouilles 686-87 : χρηστὰ τῇ πόλει ξυμπαραινεῖν καὶ διδάσκειν. Pour une critique des travaux qui ont trop vite interprété la voix du coryphée comme celle d’Aristohpane, cf. S. Goldhill, The Poet’s voice, p. 203-04.
[ back ] 7. W. Jaeger, Paideia, p. 434 : « D’ailleurs chaque ligne de son texte nous livre sa véritable source d’inspiration : les craintes atroces qu’il éprouve pour l’avenir d’Athènes ».
[ back ] 8. Werner Jaeger part s’installer aux États-Unis en 1936, date à laquelle deux éditions allemandes de Paideia sont déjà parues. Voir les remarques de A. Devyver, dans sa présentation à l’édition française de Paideia, p. VII.
[ back ] 9. W. Jaeger, Paideia, p. 434, citant les vers 1500-03 dans une traduction qui s’éloigne du grec.
[ back ] 10. Ibid., p. 435.
[ back ] 11. Dans le même sens, S. Goldhill, The Poet’s Voice, p. 304.
[ back ] 12. Alors qu’il aborde le passage qui nous intéresse, W. Jaeger (Paideia, p. 431) se réjouit, significativement, de voir, enfin, Aristophane « abandonner ses sempiternelles plaisanteries à l’égard d’Euripide — faites jusqu’ici au hasard des circonstances […] — pour examiner avec beaucoup de profondeur le problème que pose la fonction même de la tragédie ».
[ back ] 13. Même contradiction aux vers 950-51.
[ back ] 14. Aristophane, Grenouilles 1477.
[ back ] 15. Ibid., 761-65 et 1414-19.
[ back ] 16. Homère, Odyssée 11, 485-91.
[ back ] 17. Voir Acharniens 626-7 ; Cavaliers 504 ; Paix 734 ; Oiseaux 684. Exception en revanche dans les Nuées 518-62.
[ back ] 18. Comme le remarque K. J. Dover, Aristophanes. Frogs, p. 239 et 275, qui observe que les anapestes, absents dans la parabase des Grenouilles, ont été déplacés dans la parodos (354-371) : « Since the “anapaests”, an important element in the parabases of other plays, have been transferred to the parodos (354-71), this parabasis consists simply of ode (674-85) ».
[ back ] 19. Cf. Antiphon 1, 1, 4 : ἄνδρες πολῖται ; et passim chez tous les orateurs : ἄνδρες Ἀθηναῖοι.
[ back ] 20. Remarquons qu’Aristophane limite au poète une responsabilité anthropopoiétique que le philosophe et l’anthropologue modernes attribuent à la culture. Sur ce problème et la notion d’anthropopoiésis, cf. les remarques stimulantes de F. Remotti, « Thèses pour une perspective anthropopoiétique », plus particulièrement p. 15-31, et surtout p. 23, ainsi que le développement plus général apporté à ce dossier dans F. Affergan (éd.), Figures de l’humain.
[ back ] 21. Dans sa Poétique, Aristote apporte à son tour un développement original à la fonction d’une tragédie qui « veut représenter (μιμεῖσθαι) des personnages meilleurs (βελτίους) que les hommes actuels » (1448a17-18). On notera cependant la substitution du verbe mimeisthai au verbe poiein qui prouve l’influence de Platon dans ce débat.
[ back ] 22. Aristophane, Grenouilles 12-16, où Xanthias, insistant lui aussi sur ce verbe, se demande ce que son statut d’esclave lui permet de faire (poiein) dans cette comédie dès lors que son maître le prive du droit de faire ce que les autres figures d’esclaves font dans les autres comédies.
[ back ] 23. Ibid., 835-46.
[ back ] 24. Ibid., 858.
[ back ] 25. Ibid., 935.
[ back ] 26. Ibid., 936.
[ back ] 27. Ibid., 962-63.
[ back ] 28. D. Bouvier, « Quand le poète », p. 93.
[ back ] 29. Voir dans ce volume les pertinentes remarques de Frank Müller.
[ back ] 30. Aristote, Poétique 1447b13.
[ back ] 31. Παιδοποιός : pour un homme, cf. Hérodote 6, 68 ; pour une femme, Euripide, Andromaque 4; τεκνοποιός : pour un homme, Euripide, Troyennes 853 ; pour une femme, Hérodote 1, 59 et 5, 40.
[ back ] 32. Pour un homme, cf. Aristophane, Assemblée des femmes 615 ; Euripide, Héraclides 525 ; Lucien, Dialogue des dieux 2, 1, 12. Pour la femme, Sophocle, Electre 589. Au passif, le verbe prend ainsi le sens de « naître », cf. Démosthène 25, 80. Au moyen, il est employé de façon absolue ou alors à propos de l’homme qui « fait des enfants » ; cf. Euripide, Oreste 1080 ; voir aussi Xénophon, Mémorables 2, 2, 4 ; Cyropédie 5, 4, 12 ; Platon, République 449d ; et Lois 868d.
[ back ] 33. À l’actif, pour une femme, cf. Xénophon, Mémorables 2, 2, 4 ; pour un homme, Diodore de Sicile 1, 73 et 4, 29 ; au moyen, Xénophon, Mémorables 4, 4, 22. Rappelons par ailleurs que le verbe τίκτειν, enfanter (cf. τέκνον) s’emploie principalement pour la mère qui met au monde ; cf. cependant infra note 52.
[ back ] 34. Xénophon, Mémorables 4, 4, 23.
[ back ] 35. Hérodote 6, 68.
[ back ] 36. Sur cette spécialisation, cf. Platon, Banquet 205b-c et le commentaire de A. Ford, A Study for Early Greek Terms for Poetry, p. 297-99.
[ back ] 37. Pour un emploi de ποίησις en ce sens, cf. Platon, Banquet 197a : ἡ τῶν ζῴων ποίησις.
[ back ] 38. Lucien, Dialogue des dieux 2, 1, 12.
[ back ] 39. Ibid., 2, 4, 13.
[ back ] 40. J. Rudhardt, « La reconnaissance de la paternité », p. 56.
[ back ] 41. C. Leduc, « L’adoption dans la cité », p. 177 et surtout p. 186, où C. Leduc tire les conséquences de l’analyse mentionnée de J. Rudhardt. Désignée par un composé de poiêsis, l’adoption, eispoiêsis, est une procédure, analogue sur plus d’un point à la poiêsis, et qui permet à un homme sans enfant de se faire (ποιεῖσθαι) un fils en l’introduisant dans tous les groupes civico-religieux auxquels il appartient lui-même depuis qu’il y a été introduit par son propre père. Présentation à la famille, à la phratrie, au dème, l’eispoiêsis suit les principales étapes de la poiêsis ; l’adoptant procédant comme le père à une « fabrication sociale de son fils ».
[ back ] 42. J. Rudhardt, « La reconnaissance de la paternité », p. 56 ; à propos de la poiêsis : « c’est un acte qui a pour objet les enfants de naissance légitime et qui, constituant la reconnaissance de leurs droits, fait d’eux les membres d’une famille, les enfants d’un père déterminé, un acte, en d’autres termes, qui crée la filiation ».
[ back ] 43. Aristophane, Grenouilles 1022-24.
[ back ] 44. Ibid., 89-100.
[ back ] 45. Ibid., 727.
[ back ] 46. Ibid., 1011.
[ back ] 47. Ibid., 1013-15.
[ back ] 48. Ibid., 1030-31.
[ back ] 49. Ibid., 947.
[ back ] 50. Ibid., 1043-45.
[ back ] 51. Ibid., 1050-51.
[ back ] 52. Ibid., 1058. Pour l’emploi du verbe τίκτειν, cf. supra note 33.
[ back ] 53. Xénophon, Helléniques 1, 6, 24. Sur la pratique, nouvelle ou non, de recruter des esclaves, cf. K. J. Dover, Aristophanes’ Frogs, p. 49, avec des indications bibliographiques.
[ back ] 54. Hellanicos, FGrHist. 323a F 25.
[ back ] 55. Aristophane, Grenouilles 33, 191 et 694.
[ back ] 56. Ibid., 695.
[ back ] 57. Ibid., 640. Voir aussi 179 et, à propos de Dionysos, 739. Sur l’adjectif γεννάδας, cf. S. Goldhill, The Poet’s Voice, p. 204 et K. Dover, Aristophanes. Frogs, p. 46.
[ back ] 58. Sur ce lieu commun, cf. Xénophon, Banquet 4, 2, 9 ; Cyropédie 8, 1, 22 ; Mémorables 4, 2, 9 ; Platon, Alcibiade 128e et République 599d. Voir aussi Apologie 24c  ; Banquet 210c ; Hippias Majeur 283c ; Rivaux 137e-d.