On November 4, 2004 Gregory Nagy received the degree of honoris causa from the Université Charles-de-Gaulle-Lille 3 in Lille, France. The degree was presented by the University’s President, Doctor Philippe Rousseau. After the presentation of the degree, Gregory Nagy delivered a brief speech, the text of which appears here in English and French.
Lille éloge de Gregory Nagy
Monsieur le Recteur, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
C’est un honneur pour moi et une grande joie de devenir docteur honoris causa de l’Université de Lille 3. Depuis déjà plusieurs années, j’ai noué des liens – scientifiques mais aussi amicaux – très forts avec cette université, et la cérémonie d’aujourd’hui confirme de manière émouvante pour moi cette collaboration. Merci beaucoup de m’accueillir parmi vous. Les circonstances m’amènent à ajouter ceci. En 430 avant Jésus Christ, l’homme d’Etat athénien Périclès prononça un discours, le troisième des trois discours que Thucydide rapporte dans le livre II de son histoire de la Guerre du Péloponnèse. Dans ce discours, Périclès déclare que l’Etat athénien doit garder son empire, qu’il avait naguère hérité de l’Empire perse – et qui fut une cause majeure de la guerre, finalement perdue, que l’Etat athénien livra contre d’autres Etats ennemis de l’empire. Soutenir l’empire, pour reprendre les mots de Périclès tels que Thucydide les a adaptés, exigeait que l’Etat athénien devienne une tyrannie. Les Athéniens, qui étaient fiers de leur gouvernement démocratique et idéologiquement opposés à la tyrannie, ont dû être scandalisés en entendant cela. Pour le peuple athénien, à l’apogée de la démocratie que représentait l’”âge d’or” de Périclès, être gouverné par un tyran revenait à être esclave. Mais Périclès a dû choquer à dessein son auditoire en parlant de l’Etat athénien comme d’une tyrannie. Cette tyrannie s’appliquait aux gens de l’extérieur, dominés par l’empire qu’était Athènes, et non aux Athéniens eux-mêmes, les gens de l’intérieur, qui pouvaient continuer à vivre dans une démocratie, en toute liberté, à l’abri de la tyrannie. L’Etat athénien était une société démocratique pour ceux qui étaient dedans. C’était une tyrannie impérialiste seulement pour ceux du dehors. Le caractère scandaleux et terrible de la puissance de l’empire se révèle dans la tyrannie qu’il exerce, et Périclès admet la vérité scandaleuse de cette tyrannie. Il soutient qu’il vaut la peine d’assumer la charge que représente l’empire. Je cite ses mots, repris par Thucydide au livre II, chapitre soixante-trois. Periclès s’adresse ainsi à ses concitoyens:
Notre cité tire de son empire un honneur dont vous êtes fiers et qu’il vous convient de soutenir. Ne fuyez donc pas les peines qu’il vous donne ou cessez d’en chercher les honneurs. Ne vous figurez pas non plus que l’enjeu du conflit ne sera que l’alternative de la servitude ou de la liberté. Il y va de la privation de l’empire et du danger que vous feront courir les haines que vous vous êtes attirées. Or, cet empire, il ne vous est même plus possible de vous en défaire, à supposer qu’il se trouve des gens à qui la peur de la situation présente et la paresse devant les difficultés fassent concevoir un projet aussi vertueux. Car il est déjà entre vos mains une tyrannie dont la conquête semble un déni du droit, mais dont l’abandon est plein de risque. De tels partisans du renoncement auraient vite fait de causer la perte d’un Etat, s’ils parvenaient à entraîner les autres, et cela, même si d’aventure ils vivaient à part sous leurs propres lois. Car le refus d’agir exige la protection d’une politique énergique, et ce n’est pas dans un Etat qui exerce l’empire, mais dans un Etat assujetti, qu’il peut être profitable de chercher la sécurité dans la servitude.
Quelles leçons peut-on ici tirer de l’histoire ? Je suis citoyen d’un pays dont le gouvernement prétend lui aussi être une démocratie à l’intérieur, mais admet qu’il est une puissance impérialiste à l’extérieur. La grande différence, selon moi, entre les modèles de la démocratie impérialiste à Athènes autrefois et aux Etats-Unis aujourd’hui est que la démocratie américaine est menacée à l’intérieur par les forces mêmes qui imposent la domination impérialiste à l’extérieur. L’Etat américain actuel ne méprise pas seulement la légalité du droit international. Il est prêt aussi à violer les lois qui régissent une société démocratique. En tant que citoyen américain, je veux tout faire pour m’opposer à une telle violation. En tant que citoyen de notre communauté académique, j’ai besoin de faire plus encore. J’ai besoin de parler haut et fort et d’appeler les dirigeants de notre communauté académique internationale à assurer la protection des principes de la liberté d’investigation et de la liberté d’expression. La liberté académique ne doit être entravée par aucun état, Américain ou autre.
Translated by Professor Fabienne Blaise
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