L’Épithète Traditionnelle dans Homère: Essai sur un problème de style Homérique

V. L’Épithète et la Formule : II. Les Formules Nom-Épithète Équivalantes.

La formule nom-épithète équivalente et le jeu de l’analogie.
La formule nom-épithète équivalente contenue dans une formule plus complexe.
Les épithètes génériques équivalentes.
Trois formules nom-épithète équivalentes.
L’unité du style de l’Iliade et de l’Odyssée.

K. Witte fait remarquer le peu de succès qu’ont eu ceux qui se sont servis de certaines différences culturelles, religieuses, ou dialectiques qu’ils avaient aperçues dans Homère pour essayer de résoudre le problème de la composition des poèmes, et il exprime l’opinion qu’il faut chercher ailleurs la solution de ce problème: « A l’avenir le chemin qui conduit à l’analyse d’Homère passera par une histoire de la langue de l’épopée grecque dont l’auteur se fondera sur ce point de vue fondamental qui, plus que tout, nous fera comprendre la langue littéraire de l’épique: la langue des poèmes homériques est l’œuvre du vers épique » [1] . Dans l’application de ce principe l’auteur n’a peut-être pas trop bien réussi, faute de n’avoir pas suffisamment compris la complexité de la diction traditionnelle et les conditions toutes particulières de son analyse [2] . Mais les conclusions de cet essai, de même que les {218|219} conclusions des critiques qui ont expliqué les formes dialectiques et artificielles de la langue épique d’après l’influence du vers, apportent un témoignage non équivoque du bien-fondé de ce principe. Nous avons trouvé, dans l’Iliade et l’Odyssée des systèmes de formules nom-épithète et ďépithètes d’une extension qui ne s’explique que par la conception d’un poète fidèle, jusque dans les plus petits détails, à une diction tradictionnelle, créée par les aèdes sous l’influence persistante du vers héroïque. Par conséquent si nous trouvions que, dans certaines parties des poèmes, ou dans certains vers, cette diction traditionnelle est plus ou moins délaissée pour d’autres mots ou pour d’autres expressions, nous saurions aussitôt que les vers en question sont l’œuvre d’un poète ou d’un interpolateur appartenant à une époque plus rapprochée que l’auteur du poème original. Car le style d’un auteur récent se trahirait aussitôt par le fait qu’on n’y reconnaîtrait plus l’influence de l’hexamètre: notre étude d’Apollonius et de Virgile nous a montré qu’un poète dont le style ne suit pas une tradition établie ne peut se créer un style visant à la facilité’ de versification que dans une mesure infime.

Tel est le principe de l’analyse. Considérons maintenant les {219|220} conditions exigées par son application; on peut dire qu’elles sont aussi complexes que le principe lui-même est simple. Pour savoir que telle forme, tel mot, telle expression n’est pas traditionnelle il faut savoir quelle forme, quel mot, quelle expression, ayant la même valeur métrique, un poète de la tradition aurait employés à sa place. Car, tant qu’il s’agit d’une valeur métrique différente, on peut admettre l’explication de l’influence du vers. Sauf dans le cas d’une expression qui, par sa nature même ne saurait faciliter la facture des vers — on peut douter de trouver de telles expressions dans Homère — nous ne pouvons prétendre être suffisamment familiarisés avec la diction aédique pour pouvoir à coup sûr refuser de lui reconnaître tel élément qui donnerait une nouvelle souplesse à la composition. En d’autres termes, le seul matériel que fournit la poésie aédique pour l’application du principe dont il s’agit, ce sont les éléments équivalents de la diction. Lorsqu’on trouve dans Homère deux ou plusieurs façons d’exprimer une même idée essentielle dans une certaine étendue du vers, par un mot ou par des mots ayant la même valeur métrique, alors seulement on peut chercher si ces expressions se rencontrent dans différentes parties de l’Iliade et de l’Odyssée et s’il n’y a pas certaines parties de ces poèmes où ces éléments équivalents abondent.

Au cours de la recherche des chapitres précédents nous avons relevé d’assez nombreux éléments de ce genre sous la forme de formules nom-épithète et d’épithètes génériques équivalentes [3] . Et c’est en toute probabilité dans ces seuls éléments de là langue de l’Iliade et de l’Odyssée que l’on pourra appliquer avec avantage le principe qui a été formulé, car c’est par ces seuls éléments que l’on peut être fixé, dans des cas assez nombreux, sur l’idée essentielle du mot ou des expressions. Les formules de toutes catégories autres que celle du nom-épithète expriment une telle variété d’idées essentielles qu’il serait excessivement difficile de relever parmi elles un assez grand nombre de cas où l’on pourrait dire avec certitude que le poète y a exprimé la {220|221} même idée en mots différents mais ayant une même valeur métrique. Mais la formule nom-épithète étant, comme nous l’avons vu, une simple manière héroïque d’exprimer le nom, et étant destinée au seul maniement du nom dans la versification, remplit parfaitement les conditions rigoureuses qui sont exigées pour l’analyse des poèmes que nous nous proposons de faire. Aussi ces formules nom-épithète se prêtent-elles à cette tentative d’analyse parce que la technique de l’emploi de l’épithète elle-même étant en grande partie analysable, nous obtiendrons d’une manière ou de l’autre des résultats ne pouvant manquer d’intérêt. La technique de l’emploi de l’épithète, telle que nous l’avons étudiée est chose si complexe que si nous ne rencontrons rien dans Homère qui s’en écarte, c’est-à-dire s’il ne s’y trouve pas de formules nom-épithète qui ne sont pas soumises à l’influence du vers, nous aurons une preuve des plus substantielles que l’Iliade et l’Odyssée, telles que nous les possédons, sont — à l’exception peut-être de quelques vers ou de quelques brefs passages — l’œuvre d’une époque à laquelle la tradition aédique possédait encore toute sa vigueur. Car une technique telle que celle-ci n’aurait pu être apprise dans tous ses détails que par un aède, apprenti d’aèdes, obéissant implicitement quoiqu’inconsciemment à l’influence du vers et pour qui l’épithète nouvellement composée ou employée d’une façon originale était chose à laquelle il n’avait jamais songé.

§ 1. — La Formule nom-épithète équivalente et le jeu de l’analogie.

Les formules nom-épithète et les épithètes équivalentes que nous avons relevées au cours de notre recherche n’accusent pas, comme celles qui sont uniques, l’influence du vers poussée à ses limites extrêmes. Car une seule expression est utile à la composition et les expressions équivalentes ne la facilitent en rien. A ce point de vue il pourrait sembler, au premier abord, que la présence d’éléments équivalents dans la diction serait contraire au principe de l’influence du vers. C’est ce qu’a si bien cru Düntzer, d’accord ici avec ses adversaires, qu’il a cru nécessaire de défendre ses théories au moyen de l’émendation (cf. p. 155). Nous verrons, vers la fin de ce chapitre, qu’il peut exister dans {221|222} Homère des formules nom-épithète paraissant exclure cette influence; mais au contraire une grande partie des expressions nom-épithète équivalentes qui gênaient Düntzer l’attestent même, et par conséquent perdent leur valeur comme indices pour l’analyse d’Homère.

Une grande partie des formules nom-épithète équivalentes proviennent naturellement de ce jeu de l’analogie, lequel, nous l’avons vu (pp. 85-92), est le facteur qui domine, du commencement à la fin, le développement et l’emploi de la diction hexamétrique. C’est par l’association de différents groupes de mots que les aèdes ont faite dans leur pensée qu’ils ont élaboré toute la technique de leur diction, créant un mot, une forme, une expression sur le modèle d’une autre forme, d’un autre mot, ou d’une autre expression qui existaient déjà, composant un membre de phrase ou toute une phrase d’après le modèle d’un autre membre de phrase ou d’une autre phrase. Or ce jeu de l’analogie, dont la puissance est démontrée par tout artifice de la diction, est trop puissant pour cesser complètement de s’exercer lorsqu’il a créé la formule métriquement unique. Car dans la pensée de l’aède il se fera toujours une association entre les mots d’une expression unique et ceux d’une autre, et ainsi, par analogie, il tirera de deux formules uniques une qui répétera la mesure d’une formule déjà existante. Ainsi, par exemple, les aèdes, guidés par l’analogie, avaient choisi l’épithète avec laquelle ils composeraient la formule nom-épithète pour navire, à l’accusatif, servant après l’hepthémimère, et commençant par une voyelle: εὐεργέα νῆα (.7 fois) [4] . De la même façon ils choisirent l’épithète ποντοπόροιο (2.2 fois), ποντοπόροισι(ν) (10. fois), à l’exclusion de toute autre épithète du navire présentant la {222|223} même mesure. Cette épithète doit servir au génitif singulier et au datif pluriel dans le but de prolonger le membre de phrase ou la phrase de la diérèse bucolique jusqu’à la fin du vers:

Ο 704Ἕκτωρ δὲ πρυμνῆς νεὸς ἥψατο ποντοπόροιο
ξ 295ἐς Λιβύην μ᾽ ἐπὶ νηὸς ἐέσσατο ποντοπόροιο


etc. Nous avons déjà constaté l’existence d’épithètes de héros et d’héroïnes employées dans un but semblable (p. 83). Cette épithète ποντοπόροισι sert aussi dans une autre formule nom-épithète-préposition ἐν ποντοπόροισι νέεσσι (Γ 46, 444) qui est également unique quant à la mesure. Or voici deux épithètes ποντοπόροιο et εὐεργέα qui, à certains cas obliques, sont seules à posséder une certaine mesure et qui, à ces cas, n’empiètent point l’une l’autre sur leur domaine respectif. Mais le nominatif de l’une ou de l’autre peut servir également avec νηῦς à composer une formule nom-épithète sujet, commençant par une consonne, et tombant entre la diérèse bucolique et la fin du vers: νηῦς εὐεργής ou ποντόπορος νηῦς. Le jeu de l’analogie peut aussi bien amener les aèdes à choisir ποντόπορος νηῦς, faite sur le modèle de ποντοπόροισι νέεσσι, νηὸςποντοπόροιο, que νηῦς εὐεργής, faite sur le modèle de εὐεργέα νῆα. Et même après avoir choisi l’une de ces expressions, il restait toujours l’autre épithète, étroitement liée au mot navire et prête à surgir au moindre hasard de la pensée. C’est ainsi que nous trouvons dans Homère ποντόπορος νηῦς, μ 69, ν 95, 161, ξ 339, νηῦς εὐεργής, Ω 396, μ 166, π 322.

On pourrait supposer qu’une association de mots qui produirait l’une de ces expressions équivalentes serait l’œuvre d’un certain poète de ľIliade ou de l’Odyssée plus original que les autres aèdes. Cela n’est que possible; il est bien plus probable que ces deux formules appartiennent toutes les deux à la diction commune des aèdes, maintenues toutes deux par le modèle toujours présent des formules des cas obliques et qu’Homère les a ainsi apprises l’une et l’autre. La fréquence des formules nom-épithète de ce genre et le fait qu’elles se trouvent partout montrent qu’on ne saurait les regarder comme l’œuvre individuelle de l’un quelconque des auteurs de d’Iliade et de l’Odyssée. Peut-être pourrait-on voir aussi dans ces formules nom-épithète équivalentes, non des indices de l’époque, mais des traits inconscients d’un certain poète, révélant son œuvre par le {223|224} choix qu’il aurait fait de l’une ou de l’autre. Si l’on trouvait de fréquentes formules nom-épithète de ce genre on aurait peut-être de quoi tenter une analyse des poèmes. Mais presque toujours l’emploi fréquent d’une formule fait cesser le jeu de l’analogie, D’ailleurs nous aurons bientôt l’occasion d’étudier la cause qui a amené le poète à choisir tantôt une formule équivalente, tantôt une autre.

Citons les autres cas que nous avons remarqués, dans lesquels la formule nom-épithète équivalente est le résultat naturel du jeu de l’analogie.

I. A 86 Ἀπόλλωνα διίφιλον; le poète aurait aussi bien pu employer l’épithète ἑκήβολον qu’on trouve dans ἑκήβολον Ἀπόλλωνα (1. fois). Mais il a composé son vers d’après le modèle de Ὀδυσῆα διίφιλον (Λ 419, 473), Ἕκτωρδιίφιλος (Ζ 318, Θ 493), etc., διίφιλος, –ον, –ε, servant ici avant la diérèse bucolique comme épithète générique de héros à emploi indépendant (cf. p. 82).

II. Α 502 Δία Κρονίωνα ἄνακτα ~ κελαινεφέα Κρονίωνα (Λ 78). La dernière de ces deux expressions était sans doute celle qui était régulièrement employée par les aèdes, comme on peut en juger par κελαιρνεφέι Κρονίωνι (3. fois). La première expression provient en partie de Δία Κρονίωνα, expression unique apparaissant surtout dans la formule Δία Κρονίωνα προσηύδα (A 539, Τ 120) et en partie d’expressions telles que Ἰδομενῆα ἄνακτα (Β 405, Κ 112, τ 181), Ποσειδάωνα ἄνακτα (Ο 8), etc.

III. Ε 509 Ἀπόλλωνος χρυσαόρου; on aurait pu s’attendre à rencontrer ἑκατηβόλου qu’on trouve dans ἑκατηβόλου Ἀπόλλωνος (3. fois). L’expression est composée d’après Ἀπόλλωνα χρυσάορον (Ο 256) où ἑκατήβολον ne pourrait servir.

IV. Ζ 205 χρυσήνιος Ἄρτεμις ~ χρυσόθρονος Ἄρτεμις (Ι 533, ε 123). La première expression aurait pu avoir χρυσήνιος Ἄρης (θ 285) pour modèle; la deuxième, χρυσόθρονος Ἥρη (A 611), χρυσόθρονος Ἠώς (.7 fois).

V. Η 41 χαλκοκνήμιδες Ἀχαιοί ~ μένεα πνείοντες Ἀχαιοί (Γ 8, Λ 508). Cette dernière expression doit avoir servi régulièrement; on en trouve l’accusatif en Ω 364. La première expression provient d’un mélange des expressions ἐυκνήμιδες (-ας) Ἀχαιοί (-ούς), (31.5 fois) et Ἀχαιῶν χαλκοχιτώνων (27.2 fois).

VI. Θ 161 Δαναοὶ ταχύπωλοι ~ μεγάθυμοι Ἀχαιοί (2.1 fois); de Δαναῶν ταχυπώλων (9. fois), et de μεγάθυμοι Ἐπειοί (2. fois), {224|225} μεγάθυμος Ἀγήνωρ (Ν 598), Αἰτωλῶν μεγαθύμων (2. fois), etc.

VII. κλυτὸς Ἐννοσίγαιος (Θ 440, I 362, Ξ 135, 510, Ο 184, ε 423, ζ 326) ~ κρείων Ἐνοσίχθων (Θ 208, Ν 10, 215, Ξ 150, Φ 435, ε 282, 375). La première expression vient de κλυτὸς Ἀμφιγυήεις (Σ 614), κλυτὸς Ἱπποδάμεια (Β 742), etc. + γαιήοχος Ἐννοσίγαιος (3. 1 fois); la deuxième de κρείων Ἀγαμέμνων (26.1 fois), κρείων Ἀγαπήνωρ (Β 609), etc. + Ποσειδάων ἐνοσίχθων (13.10 fois).

VΙΙΙ. Ζεὺς τερπικέραυνος (Μ 252, Ω 529, ξ 268, ρ 437) ~ νεφεληγερέτα Ζεύς (22.8 fois). C’est la dernière expression qui, évidemment, est régulièrement employée. L’épithète dans cette expression fournit le génitif métriquement unique Διὸς νεφεληγερέταο (6. fois). La première expression a été suggérée par le datif Διὶ τερπικεραύνωι (4.8 fois), auquel cas l’épithète est également unique au point de vue du mètre.

IX. Ν 128 Ἀθηναίη λαοσσόος ~ Ἀθηναίη κούρη Διός (Β 296, ν 190). La première expression est composée d’après Ἄρης λαοσσόος (Ρ 398), Ἔριςλαοσσόος (Υ 48), λαοσσόον Ἀμφιάραον (ο 244), etc.; la deuxième d’après κούρη Διὸς αἰγιόχοιο (3.5 fois).

Χ. Η 23, 37, Π 804, Υ 103, θ 334 ἄναξ Διὸς υἱὸς Ἀπόλλων ~ ἄναξ ἑκάεργος Ἀπόλλων (Ο 253, Φ 461, θ 323). C’est sans doute la dernière expression, contenant l’épithète spéciale du dieu, qui est la plus ancienne; la première expression provient de Λητοῦς καὶ Διὸς υἱός (A 9), Διὸς υἱὸν ἑκήβολον Ἀπόλλωνα (Α 21), etc.

XI. Σ 234 ποδώκης (εἵπετ᾽) Ἀχιλλεύς, où le poète aurait pu employer ποδάρκης. On ne trouve ποδάρκης qu’au nominatif, dans l’expression ποδάρκης δῖος Ἀχιλλεύς (21 . fois); aux cas obliques on trouve toujours ποδώκεος Αἰακίδαο (8.2 fois), ποδώκεα Πηλείωνα (10. fois), et en particulier ποδώκεος ἀντ᾽ Ἀχιλῆος (Υ 89). Il est évident qu’avec un modèle comme cette dernière expression il serait même plus naturel qu’un poète pense à ποδώκης qu’à ποδάρκης.

XII. Σ 616 (κατ’) Οὐλύμπου νιφόεντος ~ αἰγλήεντος Ὀλύμπου (2.1 fois). C’est la dernière expression qui était régulièrement employée. La première provient de ὄρεα νιφόεντα (Ξ 227, τ 338) + κατ᾽ Οὐλύμπου τόδ᾽ ἱκάνω (-εις) (2. fois).

XIII. Υ 79 λαοσσόοςἈπόλλων, où on aurait pu s’attendre à trouver ἑκατήβολος (on rencontre ἑκατηβόλου 3.1 fois). Il existe ici la même association de mots que pour Ἀθηναίη λαοσσόος {225|226} (N 128). λαοσσόος, dite de quatre dieux, peut être regardée comme épithète générique des dieux.

XIV. X 216 διίφιλε φαίδιμ᾽ Ἀχιλλεῦ ~ θεοῖς ἐπιείκελ᾽ Ἀχιλλεῦ (5.1 fois). C’est la dernière expression qui est régulièrement employée; la première provient de φαίδιμ᾽ Ἀχιλλεῦ (4.1 fois) + διίφιλος, épithète générique de héros à emploi indépendant (Cf. le premier de ces exemples, Ἀπόλλωνα διίφιλον).

XV. Ψ 168 μεγάθυμος Ἀχιλλεύς ~ πόδας ὠκὺς Ἀχιλλεύς (29. fois). C’est la dernière expression que l’on emploie ordinairement; la première rappelle μεγάθυμος Ἀγήνωρ (2. fois), μεγάθυμοι Ἀχαιοί (2.1 fois), etc.

XVI. Γ 8, Λ 508 μένεα πνείοντες Ἀχαιοί ~ Δαναοὶ θεράποντες Ἄρηος (4. fois); la première expression est composée au moyen de l’épithète générique, cf. μένεα πνείοντες Ἄβαντες (Β 536); la deuxième provient de θεράποντες Ἅρηος, épithète des deux Ajax, et sans doute de tout groupe de héros (Θ 79, Κ 228), + Δαναοί, qui est souvent employé seul ici avant l’hepthémimère (5.1 fois).

XVII. β 433 Διὸς γλαυκώπιδι κούρηι ~ Διὸς κούρηι μεγάλοιο (4.3 fois). On reconnaît à sa fréquence que c’est cette dernière expression qui était régulièrement employée; la première s’en inspire ainsi que de γλαυκώπιδι κούρηι (Ω 26).

XVIII. δ 143 Ὀδυσσῆος μεγαλήτορος ~ Ὀδυσσῆος ταλασίφρονος (1.12 fois). La fréquence de cette dernière expression indique que l’épithète spéciale servait régulièrement; la première expression rappelle les formules dans lesquelles μεγαλήτορος apparaît en tant qu’épithète générique de héros à mesure unique (cf. Tableau III); Οὶνῆος μεγαλήτορος (1 . fois), Αἴαντος μεγαλήτορος (1. fois) μεγαλήτορος Ἀλκινόοιο (.7 fois), etc. et surtout la formule employée au datif, Ὀδυσσῆι μεγαλήτορι (1.3 fois).

XIX. δ 173 Ὀλύμπιος εὐρύοπα Ζεύς ~ Ὀλύμπιος ἀστεροπητής (3 fois). La première expression provient de εὐρύοπα Ζεύς (9.7 fois) + Ὀλύμπιος, qui est employé absolument comme nom de Zeus avant la diérèse bucolique (13.2 fois); la dernière est formée d’après le datif Ζηνὶἀοτεροπητῆι (Η 443).

XX. δ 578 vηυσὶν ἐίσηις ~ νηυσὶ θοῆισι (3.1 fois). La première expression est formée d’après νῆας ἐίσας (8.3 fois), νηὸς ἐίσης (1.4 fois), etc.; la dernière d’après θοὰς ἐπὶ νῆας (15. fois), νῆα θοήν (2.23 fois), etc.

XXI. θ 520, ν 521 μεγάθυμον Ἀθήνην ~ γλαυκῶπιν Ἀθηνήν α 156. {226|227} La dernière expression est formée d’après γλαυκῶπις Ἀθήνη (28.51 fois); la première, de la même façon que μεγάθυμος Ἀχιλλεύς, d’après μεγάθυμοι Ἀχαιοί (2.1 fois), μεγάθυμος Ἀγήνωρ (2. fois), etc.

XXII. ο 133 κάρη ξανθὸς Μενέλαος ~ βοὴν ἀγαθὸς Μενέλαος (13.8 fois). La dernière expression est formée de la façon ordinaire avec l’épithète générique; la première provient de ξανθὸς Μενέλαος (13.5 fois) + κάρη κομόωντες Ἀχαιοί (2.1 fois). La formation de cette expression est ainsi semblable à celle de χαλκοκνήμιδες Ἀχαιοί (Η 41) citée plus haut.

XXIII. ο 420 κοίληι παρὰ νηί (à la fin du vers) ~ παρὰ νηὶ μελαίνηι (1.4 fois). La dernière expression est composée d’après νηὶ μελαίνηι (8.16 fois), νῆα μέλαιναν (1.14 fois), etc.; la première d’après κοίλας ἐπὶ νῆας (13.1 fois), κοίληι παρὰ νηὶ μελαίνηι (.2 fois), etc.

§ 2. — La Formule nom-épithète equivalente contenue dans une formule plus complexe

On peut distinguer trois étapes successives dans le développement de la technique des formules nom-épithète: dans la première l’influence du vers n’est pas encore arrivée à faire adopter une formule nom-épithète unique; dans la deuxième elle y est parvenue; et dans la troisième l’association des formules uniques en a causé une surproduction. Les formules nom-épithète que nous venons d’étudier appartiennent à la dernière catégorie; toutes les autres formules équivalentes qui sont traditionnelles, celles qui ne s’expliquent pas par le jeu de l’analogie, font partie de la première. Par exemple les expressions ἐριαύχενες ἵπποι ~ ὑψηχέες ἵπποι, ἐριαύχενας ἵππους ~ ὑψηχέας ἵππους, si elles sont traditionnelles, ne peuvent appartenir qu’à la première catégorie, car, ayant une même valeur métrique à tous les Cas et ne se ressemblant pas ni ne ressemblant à aucune autre épithète du cheval, leur création implique deux efforts originaux et indépendants. Nous ne savons pas encore si les formules nom-épithète équivalentes qu’il nous reste à considérer doivent être attribuées à cette première étape du développement de la diction; il se peut qu’elles soient plutôt des créations originales du poète ou des poètes qui composèrent l’Iliade et l’Odyssée. Mais il faut admettre la première de ces explications afin de {227|228} rechercher si de telles formules traditionnelles présenteraient des indications par lesquelles on les reconnaîtrait.

On trouve aussitôt ces indications et celles-ci fournissent les raisons pour lesquelles une certaine partie au moins des formules que nous étudions ont pu échapper à la tendance des aèdes à ne conserver que la formule nom-épithète unique. Il s’agit d’un fait d’ordre psychologique: L’habitude d’employer un certain groupe de mots renfermant une formule nom-épithète a souvent été si forte chez les aèdes que l’épithète contenue dans ce groupe de mots a été soustraite à la simplification constante de la technique de l’emploi de l’épithète. Prenons un exemple des plus évidents. On trouve dans Homère l’expression Ὀδυσῆα πολύφρονα (.5 fois) qui équivaut métriquement à Ὀδυσῆα δαίφρονα (1.4 fois), δαίφρονα étant une épithète générique de héros à valeur métrique unique (Tableau III), il est évident que les aèdes, au point de vue de la facilité de leur versification, auraient aussi bien pu l’utiliser que πολύφρονα. Et en toute probabilité cette épithète-ci aurait rapidement disparu si ce n’était qu’elle se trouve dans le vers formule






α 83 = ξ 424 = υ 239 = φ 204 νοστῆσαι  
    Ὀδυσῆα πολύφρονα ὅνδε δόμονδε
υ 329 νοστήσειν  


La présence de la formule Ὀδυσῆα πολύφρονα dans Homère n’est donc point la négation de l’influence du vers; au contraire elle atteste les dures conditions imposées par cette influence du vers à l’épithète équivalente qui devait rester dans la diction, et elle nous montre comment, par l’audition et le souvenir que les aèdes avaient de groupes de mots, la diction, créée par le vers épique, fut transmise d’une génération d’aèdes à celle qui lui succéda [
5] .

On ne trouve nulle part ailleurs dans Homère d’exemple ayant toute la netteté de celui qui vient d’être étudié, car l’expression, conservée par le fait qu’elle se trouvait dans une for- {228|229} mule plus complexe, pouvait facilement être employée isolément par analogie. On peut même supposer des formules équivalentes conservées dans une expression traditionnelle qu’il ne serait pas possible de distinguer, puisque cette expression n’apparaîtrait qu’une seule fois ou même pas du tout dans les poèmes. Mais avant de nous lancer dans l’étude des cas de ce genre, signalons les autres exemples rencontrés dans notre recherche de la formule équivalente qui a clairement été conservée grâce à sa présence dans une formule plus complexe.

I. On trouve Δαναοὺς θεράποντας Ἄρηος en Η 382 (~ μένεα πνείοντας Ἀχαιοὺς: cf. μένεα πνέιοντες Ἀχαιοί, Γ 8, Λ 508). Mais c’est au nominatif que l’on trouve la formule plus complexe qui a permis à cette formule de rester dans la diction. La formule nom-épithète en question n’apparaît en effet, à l’exception indiquée, qu’au vers Β 110 = Ζ 67, Ο 733 = Τ 78:

ὦ φίλοι ἥρωες Δαναοί, θεράποντες Ἄρηος


Nous avons déjà vu que cette formule équivalente fut créée par l’analogie avec d’autres formules nom-épithète uniques. Nous pouvons ainsi retracer son histoire depuis son apparition jusqu’au moment où elle fut employée par Homère, et nous voyons que la diction traditionnelle l’a conservée, comme elle l’avait créée.

II. ἐρίγδουπος πόσις Ἥρης (4.3 fois), Ὀλύμπιος ἀστεροπητής (3. fois). Cette formule se trouve cinq fois sur sept dans un vers où quelque personnage exprime un souhait:

θ 465 = ο 180οὕτω νῦν Ζεὺς θείη, ἐρίγδουπος πόσις Ἥρης
ο 112ὣς τοι Ζεὺς τελέσειεν, ἐρίγδουπος πόσις Ἥρης


ou invoque Zeus comme témoin:






H 411ὅρκια δὲ Ζεὺς ἴστω  
  ἐρίγδουπος πόσις Ἥρης
Κ 329ἴστω νῦν Ζεὺς αὐτός,  


Les deux autres vers montrent d’une façon assez saisissante l’intime relation qui existe entre cette formule nom-épithète et l’idée de la prière. Car il est évident que l’idée de souhait, quoiqu’elle n’y soit pas implicitement exprimée, était pourtant présente à la pensée du poète. En Ν 153 Hector parle des Achéens:

ἀλλ᾽, ὀίω, χάσσονται ὑπ᾽ ἔγχεος, εἰ ἐτεόν με
ὦρσε θεῶν ὤριστος, ἐρίγδουπος πόσις Ἥρης {229|230}


Et en Π 88 Achille, parlant à Patrocle, lui donne la permission d’aller à la bataille:

εἰ δέ κεν αὖ τοι
δώηι κῦδος ἀρέσθαι ἐρίγδουπος πόσις Ἥρης,
μὴ σύ γ᾽ ἄνευθεν ἐμεῖο λιλαίεσθαι πολεμίζειν.

III. νηὸςδολιχηρέτμοιο ~ νηὸς κυανοπρώιροιο (3.9 fois). La première expression apparaît deux fois:






τ 339 νοσφισάμην  
  ἐπὶ νηὸς ἰὼν δολιχηρέτμοιο
ψ 176ἐξ Ἰθάκης  


IV. Dans les deux cas où Athéna est appelée μεγάθυμον (~ γλαυκῶπιν, cf. plus haut p. 226), on trouve cette formule dans l’expression διὰ μεγάθυμον Ἀθήνην (θ 520, ν 121).

V. Ζεὺς τερπικέραυνος (~ νεφεληλερέτα Ζεὺς, 22.8 fois, cf. p. 225) apparaît trois fois sur quatre dans une formule préposition-conjonction-nom-épithète:






M 252 ἐπὶ δὲ  
  Ζεὺς τερπικέραυνος
ξ 268 =ρ 437 ἐν δὲ  

VI. Le choix fait par le poète entre les deux formules βοῶπις πότνια Ἥρη (11. fois) et Θεὰ λευκώλενος Ἥpη (19. fois) semble avoir été déterminé par toute une série d’associations de mots. Ainsi on trouve

A 595 = Φ 434ὣς φάτο, μείδησεν δὲ θεὰ λευκώλενος Ἥρη
Ε 767 = Θ 381 = Ξ 277 = Ο 78ὣς ἔφατ᾽, οὐδ᾽ ἀπίθησε θεὰ λευ
[κώλενος Ἥρη
Α 551 = Δ 50 = Π 439 = Σ 360 = Υ 309τὸν δ᾽ ἠμείβετ᾽ ἔπειτα
[βοῶπις πότνια Ἥρη

VIII. Il en est de même de ἀρήιοι υἷες Ἀχαιῶν (7. fois) ~ ἐυκνήμιδες Ἀχαιοί (17.1 fois). On trouve d’une part

Λ 800 = Π 42 = Σ 200Τρῶες, ἀναπνεύσωσι δ᾽ ἀρήιοι υἷες Ἀχαιῶν
Υ 317 = Φ 376καιομένη, καίωσι δ᾽ ἀρήιοι υἷες Ἀχαιῶν

D’autre part on a

Γ 86 = 304 = H 67κέκλυτέ μευ, Τρῶες καὶ ἐυκνήμιδες Ἀχαιοί
Α 17, Λ 149, Ξ 49, Ψ 272, 658… ἄλλοι ἐυκνήμιδες Ἀχαιοί


***

Dans le cas d’autres formules équivalentes on ne peut dis- {230|231} tinguer avec certitude quel groupe ou quels groupes de mots auraient déterminé leur survivance à toutes. Il se peut que le hasard seul nous ait privés de preuves ou, ce qui est plus probable, que les formules soient associées avec de nombreuses expressions. Mais ici, puisque la preuve affirmative manque, on peut essayer la preuve négative, c’est-à-dire se rendre compte si ces expressions à mesures équivalentes sont proportionnellement plus fréquentes dans un des poèmes ou dans une de leurs parties. Si cette tentative échoue, on saura avec certitude que seules des associations de mots ont déterminé dans la pensée du poète, ou des poètes, le choix de la formule.









I. πολυφλοίσβοιο θαλάσσης Α 34; Β 209; Ζ 347; Ι 182; Ν 798; Ψ 59; ν 85, 220
  θαλάσσης εὐρυπόροιο Ο 381; δ 432; μ 2
II. ὀξέι δουρί Δ490; Ε 73, 238; Λ 95, 421; Ν 542; Π 317, 806; Υ 488; Φ 91
  ἔγχει μακρῶι Ε 45; Ε 660; Ν 177; Ο 745; Φ 402; χ 279, 293
III. δόρυ χάλκεον Ν 247; Π 346, 608; Π 862; κ 162, 164
  δόρυ μείλινον Π 114; Π 814; Φ 178

IV. Afin que cette recherche garde toute la précision possible faisons abstraction, dans le cas des expressions μείλινον ἔγχος ~ χάλκεον ἔγχος, des vers où le choix de la formule équivalente est évidemment le résultat d’une association de mots:

Ν 184 = 404 = 503 =

ἀλλ᾽ ὁ μὲν ἄντα ἰδὼν ἠλεύατο χάλκεον ἔγχος

Π 610 = Ρ 305 = 526

ο 282 = π 40ὣς ἄρα φωνήσας οἱ ἐδέξατο χάλκεον ἔγχος

L’alternance des deux expressions sera alors:











μείλινον ἔγχος Γ 317; Δ 481; Ε 620; Z 65; Υ 272; Φ 172; Χ 293  
χάλκεον ἔγχος E 655; Ν 296; Π 318; Υ 163; Φ 200; Χ 367; α 104, 121; β 10  
V. περικλυτοῦ Ἡφαίστοιο θ 287; ω 75
  πολύφρονος Ἡφαίστοιο θ 297, 327
VI. ἑλίκωπες (-ας) Ἀχαιοί (-ούς) Α 389; Γ 234; Π 569; Ρ 274; Ω 402
  ἥρωες (-ας) Ἀχαιοί (-ούς) Μ 165; Ν 629, 219; Ο 230, 261, 702; Τ 34, 41; α 272, ω 68
VII. ἐριαύχενες (-ας) ἵπποι (-ους) Κ 305; Λ 159; Ρ 496; Σ 280; Ψ 171
  ὑψηχέες (-ας) ἵπποι (-ους) Ε 772; Ψ 27 {231|232}

Il est inutile de faire de nombreuses remarques sur la présence des formules dont l’alternance vient d’être indiquée dans les différentes parties des poèmes. Il est trop évident que non seulement on ne saurait y trouver la corroboration d’aucune analyse des poèmes qui a été présentée jusqu’ici mais encore que l’on n’en saurait tirer une théorie d’analyse quelconque.

§ 3. – Les Épithètes génériques équivalentes.

Les épithètes génériques équivalentes ont également été conservées dans la poésie par le facteur de l’association des mots: dans leur cas ce sont les noms qu’elles accompagnent qui ont assuré leur conservation. Puis, à leur tour ces épithètes purent être employées par analogie avec d’autres noms et même avec des noms qui avaient eux-mêmes été la cause de la conservation d’une autre épithète.

Pour se rendre compte des circonstances qui ont déterminé le choix de l’épithète générique équivalente, prenons comme sujet d’étude le groupe d’épithètes équivalentes le plus fréquent et en même temps le plus important de ceux qui ont été relevés au tableau III: le groupe ἀντίθεος ~ ἀνδρφοόνοιο ~ ἱππoδάμοιο ~ ἴφθιμος à tous les cas où ces épithètes sont appliquées aux héros. Il est à remarquer que ce groupe convient surtout à la recherche du fait que ces quatre épithètes présentent les mêmes valeurs métriques à tous les cas.

Nous avons remarqué que toute épithète doit avoir été, à son origine, particularisée: de même, pendant son existence, elle doit avoir été spéciale. En effet, pour qu’elle devienne ornementale il était nécessaire qu’elle fût constamment employée avec un certain nom. Plus tard, lorsqu’elle fut devenue purement ornementale et que le poète ne pensait guère à sa signification, elle pouvait être appliquée à un autre nom par un procédé d’analogie dans lequel sa signification entrait pour très peu. On peut voir cette transformation de l’épithète générique dans l’emploi de ἀνδροφόνοιο. Cette épithète, qui n’apparaît qu’au génitif singulier, est employée avec trois noms: Ἄρεος (3. fois), Ἕκτορος (10 fois), Λυκούργου (Ζ 134). Il n’est pas possible de savoir avec certitude si cette épithète fut au début une épithète du dieu ou une du héros Troyen. Mais en tout cas la première fois qu’elle fut {232|233} employée pour un héros, ce dut être pour Hector, et dans la pensée du poète ou des poètes de l’Iliade c’est avee le nom de ce héros qu’elle est presque exclusivement associée; si bien que l’on serait tenté de la désigner comme épithète spéciale et de considérer le fait qu’elle se rencontre avec le nom de Lycurgue comme un résultat exceptionnel du jeu de l’analogie. Mais il n’y a guère de profit à tirer d’une telle distinction: pour que ce seul emploi avec un autre nom de héros ait pu avoir lieu, il avait fallu que l’épithète eût atteint le point où l’on peut dire que son emploi comme épithète d’Hector provient plutôt d’une habitude inconsciente du poète que d’un rapprochement entre la signification de l’épithète et le rôle du héros [6] .

Nous ignorons quelle fut l’origine de ἱπποδάμοιο et de ἀντιθέοιο, mais nous trouvons qu’Homère emploie ordinairement l’une ou l’autre, selon qu’il est question d’un certain héros ou selon qu’il emploie une certaine formule plus complexe renfermant l’expression nom-épithète. Ainsi on trouve toujours αντίθεος pour Ulysse.

Ὀδυσσῆοςἀντιθέοιο δ 741, τ 456
ἀντιθέου Ὀδυσῆος υ 369, φ 254
ἀντιθέωι Ὀδυσῆι Λ 140, α 21, β 17, ζ 331, ν 126, χ 291


pour Sarpédon:

ἀντιθέωι Σαρπηδόνι Ε 629, Π 649
ἀντίθεον Σαρπηδόνα Ε 663, 692, Ζ 199, Μ 307


pour les Polyphèmes, l’un héros Lapithe, l’autre Cyclops:

ἀντίθεον Πολύφημον A 264, α 70


pour Ménélas

ἀντιθέωι Μενελάωι θ 518, ω 116


et pour les Lyciens

ἀντιθέοισιΛυκίοισιν Π 421, M 408 {233|234}


L’épithète ἱπποδάμοιο est toujours choisie pour Diomède:

Διομήδεος ἱπποδάμοιοΕ 415, 781, 849, H 404 = Ι 51 = 711, Θ 194, γ 181


pour Castor:

Κάστορα (θ᾽) ἱππόδαμον Γ 237 = λ 300


et pour les Troyens:

Τρώεσσι (μεθ᾽) ἱπποράμοις Η 361, Θ 525
Τρωσὶν (ἐφ᾽) ἱπποδάμοις Θ 110






Δ 352 = Τ 237   ἐγείρομεν ὀξὺν Ἄρηα
  Τρωσὶν ἐφ᾽ ἱπποδάμοισι(ν)  
Θ 516 = Τ 318   φέρειν πολύδακρυν Ἄρηα

Cette épithète est aussi la seule qui serve dans la formule:






Β 23, 60 Ἀτρέος  
Δ 370 Τυδέος υἱὲ δαίφρονος ἱπποδάμοιο
Λ 450 Ἱππάσου  

Dans deux cas seulement Homère emploie l’une des épithètes ἀντιθέοιο ou ἱπποδάμοιο avec un nom qualifié ailleurs par l’autre ou par ἀνδροφόνοιο ou bien par ἰφθίμοιο; mais vu le nombre de héros de peu d’importance que qualifient ces épithètes cela doit être dû en partie au hasard. Ces deux exceptions sont Ἕκτορος ἀνδροφόνοιο (10. fois) ~ Ἕκτορος ἱπποδάμοιο (5. fois), et ἀντίθεος Θρασυμήδης (Π 321), Θρασυμήδεος ἱπποδάμοιο (10). Le poète a été amené à abandonner l’épithète presque spéciale d’Hector, aussi bien que lépithète déjà employée pour Thrasymède, par un rapprochement avec des formules du genre de








(8. fois) Διομήδεος  
(2. fois) Ἀντήνορος  
  ἱπποδάμοιο
(Ρ 24) Υπερήνορος  
(γ 17) Νέοτορος  

On pourrait penser ici qu’il est possible de trouver dans telle partie de l’Iliade une préférence marquée pour l’une ou l’autre des expressions employées pour Hector. Une étude de l’alternance des expressions montrera que cela est impossible.





Ἕκτορος ἀνδροφόνοιο Α 242; Ι 351; Π 117; Π 840; Ρ 428, 616, 638; Σ 149; Ω 509
Ἕκτορος ἱπποδἀμοιο Η 38; Π 717; Χ 161, 211; Ω 804 {234|235}

L’épithète ἴφθιμος (-οιο, –ου) n’apparaît qu’à cinq reprises avec les noms d’autant de héros et par conséquent il n’est pas possible d’avoir la certitude que ce sont bien certaines associations de mots qui déterminent son emploi. Il est très possible aussi que la mesure spondaïque de cette épithète, par laquelle elle diffère des trois autres épithètes équivalentes, ait été la cause de sa survivance; car, sur six fois qu’elle est employée comme épithète de héros, on la trouve cinq fois au début du vers. Mais pour cette épithète, aussi bien que pour les divers cas d’emploi de ἀντιθέοιο et de ἱπποδάμοιο où une association avec le nom de certains héros n’est pas clairement indiquée, il sera avantageux d’étudier l’alternance des épithètes; car il est possible qu’il y ait dans certaines parties des poèmes une préférence indiquée pour l’une ou l’autre d’entre elles. Du tableau suivant sont donc exceptés les divers emplois des quatre épithètes résultant clairement de l’association de l’épithète avec un certain nom.






1. ἀντίθεος, -οιο, -ωι, -ον, -οισι Γ 186; Δ 377; Ε 705; Θ 275; Ι 623; Κ 112; Ν 791; Ξ 322; Π 321; Υ 232, 407; Φ 91, 595; Ψ 360; Ω 257; ζ 241; λ 308 ο 237, η 146, ξ 182
2. ἱπποδάμοιο Ζ 299; Ξ 10; Ξ 473; Ρ 24; γ 17
3. ἴφθιμος, -οιο, -ον, -ων Ε 695; Λ 290, 373; Ο 547; Ρ 554; Ψ 511

Comme nous l’avons fait dans les pages précédentes, lorsque nous avons étudié cette alternance des formules équivalentes, on peut seulement signaler ici l’impossibilité évidente d’en tirer une théorie d’analyse quelconque.

§ 4. — Trois Formules nom-épithète équivalantes.

De toutes les formules nom-épithète équivalentes que nous avons relevées au cours de notre recherche, il n’en reste que trois dans lesquelles se trouve une épithète ne s’expliquant pas aussitôt par le jeu naturel de l’analogie, ou par l’association des mots, ou bien qui n’est pas assez fréquente pour que l’on puisse faire la démonstration de l’alternance. En d’autres termes nous n’avons rencontré dans Homère que trois cas qui ne se montrent {235|236} pas comme les résultats naturels des conditions déterminant la création et la conservation de la diction homérique.

I. Π 298 στεφοπηγερέτα Ζεύς ~ νεφεληγερέτα Ζεύς (22.8 fois). La raison qui a amené le poète à rejeter νεφεληγερέτα devient claire aussitôt qu’on lit le vers en question:

Π 297ὡς δ᾽ ὅτ᾽ ἀρ᾽ ὑψηλῆς κορυφῆς ὄρεος μεγάλοιο
κινήσηι πυκινὴν νεφέλην στεροπηγερέτα Ζεύς,

Mais il existe une indication de la date récente de ce vers, qui est peut-être plus concluante que celles que cite Bolling. C’est la présence dans l’expression d’une syllabe longue fermée, et fermée par deux consonnes. Parmi les nombreuses et fréquentes formules nom-épithète que nous avons eu l’occasion de citer dans ce volume, tant aux tableaux qu’au texte, il n’y en a que trois, avec Ἥρης χρυσοπεδίλου qui présentent une syllabe fermée avant la diérèse bucolique, encore cette syllabe n’est-elle fermée que par une seule consonne: ποδάρκης δῖος Ἀχιλλεύς, Ἀχαιῶν χαλκοχιτώνων, et {237|238} περίφρων Πηνελόπεια. Dans le cas de la première et de la deuxième de ces formules il semblerait que la fixité même de ces deux formules fréquentes les ait soustraites à la tendance à éviter le surallongement dans la dernière partie du vers. Dans le cas de la troisième expression, c’est sans doute la difficulté, et peut-être l’impossibilité de trouver une épithète de la mesure ⏑_⏑ se terminant par –ος, ou par –ις qui a rendu nécessaire l’emploi de l’épithète qu’on trouve correctement employée avec les noms Εὐρύκλεια et Ἀδραστίνη. Mais dans le cas de Ἥρης χρυσοπεδίλου il n’y a aucun élément d’habitude due à la fréquence, ni de nécessité; ce qu’indique la présence de l’expression Ἥρης ἠυκόμοιο. Par conséquent on a ici une preuve certaine que ce vers est l’œuvre d’un poète qui avait perdu le sens de l’ancien rythme héroïque.

§ 5. — L’Unité de style de l’Iliade et de l’Odyssée.

Donc, toutes les épithètes fixes que nous avons eu l’occasion de rencontrer dans notre recherche, sauf une — et nous avons certainement rencontré la plus grande partie de celles qui existent dans Homère — accusent également l’influence du vers épique. Si l’on considère le fait que πολύτλας δῖος Ὀδυσσεύς apparaît 5 fois dans l’Iliade et 33 fois dans l’Odyssée comme significatif, quelle valeur donner à l’unité de la diction que nous avons pu observer jusque dans ses plus petits détails dans l’un des poèmes homériques aussi bien que dans l’autre? On ne saurait trop insister sur l’importance d’une conclusion qui ne ressort pas d’une comparaison générale et qui ne se fonde pas sur des phénomènes exceptionnels de style, mais qui est la conséquence d’une accumulation de détails identiques de la diction, dans lesquels nous voyons le poète où les poètes des deux poèmes se servant des mêmes épithètes, et des mêmes formules nom-épithète, ou agissant d’une façon identique sousl’influence du vers. C’est dans la quantité même des points de ressemblance entre les styles des différentes parties des poèmes que réside la valeur des conclusions de cette recherche.

Ceci dit considérons certaines indications spéciales de l’identité du style de l’Iliade et de l’Odyssée que nous avons relevées au cours de ce chapitre. Il s’agit de certaines formules nom-épithète équivalentes qui apparaissent dans les deux poèmes. {238|239}

I. Le poète (ou les poètes) de l’Odyssée appelle Ulysse ταλασίφρονος seulement au génitif (12 fois), et emploie μεγαλήτορι (3 fois) et μεγαλήτορα (3 fois) toujours au datif et à l’accusatif. Dans un seul cas il déroge a cette habitude. Cette exception ne nous intéresse pas ici, étant très naturelle (cf. p. 226). Ce qui est significatif c’est le fait que celui (ceux) qui a (ont) composé l’Odyssée n’a pas dit plus souvent Ὀδυσσῆος μεγαλήτορος. Cela indique une habitude à la fois des plus fermes et des plus délicates, car certainement il aurait fallu très peu de chose pour que le poète s’écartât de sa règle habituelle. On peut voir par là à quel point l’emploi de l’épithète doit avoir été inconscient chez Homère; une action consciente n’aurait jamais pu se laisser guider d’une façon aussi absolue par l’habitude. Or, on trouve cette même distinction dans l’Iliade: Ὀδυσσῆος ταλασίφρονος (Λ 466), Ὀδυσσῆι μεγαλήτορι (Ε 674).

II. Dans l’Iliade Diomède est toujours qualifié de l’épithète ἱππόδαμοιο (7 fois), quoique le poète ait aussi bien pu employer ἀντιθέοιο, ces épithètes s’appliquant toutes deux également à Diomède et aux autres héros. Mais on trouve Διομήδεος ἱπποδάμοιο (γ 181).

III. On trouve πολυφλοίσβοιο θαλάσσης six fois dans ľIliade et deux fois dans l’Odyssée et de même θαλάσσης εὐρυπόροιο en Ο 381 et en δ 432, μ 2.

IV. On a κλυτὸς Ἐννοσίγαιος (5.1 fois), κρείων Ἐνοσίχθων (5.2 fois).

V. Le choix de Ζεὺς τερπικέραυνος plutôt que de νεφεληγερέτα Ζεύς est déterminé par une association de mots des plus délicates mais que nous trouvons également dans les deux poèmes:

ξ 268 = ρ 437ἐν δὲ Ζεὺς τερπικέραυνος
Μ 252ἐπὶ δὲ Ζεὺς τερπικέραυνος


***

Footnotes

[ back ] 1. Sprachliche Kriterien im Dienste höheren Homerkritik. Pauly-Wissowa, 82 (1913), p. 2238 ss.

[ back ] 2. Dans son exposé de la méthode qu’il propose pour l’analyse, K. Witte (endroit cité) montre qu’il veut entendre par influence du vers la seule influence conservatrice, tandis que c’est par l’influence créatrice même qu’il croit pouvoir reconnaître le vers récent. Cependant lui-même a dû reconnaître (pp. 2233-4) cette influence créatrice par la présence dans Homère des éléments ioniens: ἄν, les désinences –σι, –οις, –ηις du datif, –ου du génitif, etc. Il est évident en effet que tout ce qui ne peut pas être éolien est dû à l’influence créatrice de l’hexamètre, de même que tout ce qui ne peut pas être ionien est dû à l’influence conservatrice et par conséquent on ne saurait condamner un seul élément résultant de cette influence créatrice sans les condamner tous. Par suite de cette supposition arbitraire, les exemples que cite Witte perdent leur valeur. Par exemple il croit que δυναμένοιο (avec long υ) qui apparaît en α 276 πατρὸς μέγα δυναμένοιο et en λ 414 ἀνδρὸς μέγα δυναμένοιο, est récent, puisqu‘on trouve le même verbe, à d’autres formes, avec υ bref à 117 reprises. Mais le vers exige qu’on allonge l’υ de ce verbe ou qu’on se passe de la forme en question. Les aèdes l’ont allongé, et ce détail a donné une plus grande souplesse à leur diction. Les formes δύναμαι, δύνανται, δυνήσατο, etc., qui fournissent les 117 exemples du verbe à υ bref, n’ont pas de rapport avec δυναμένοιο parce que leur mesure naturelle n’est pas un obstacle à leur présence dans le vers. Quant à la rareté de cette forme, il est évident qu’elle n’est due qu’au hasard et au fait que la nécessité d’employer le génitif du participe présent de δύναμαι ne doit pas se présenter bien souvent. Il en est de même pour πτολιπόρθιος (ι 504, 530). Comme on peut le voir au tableau III, c’est la seule épithète de héros ayant cette valeur métrique; étant donnée la complexité du système des épithètes génériques qu’on voit dans ce tableau, cette mesure unique peut être regardée comme la preuve de son caractère traditionnel. La seule façon dont Witte aurait, pu démontrer que les deux formes δυναμένοιο et πτολιπόρθιος sont récentes aurait été de citer d’une part le génitif du participe présent d’un verbe exprimant l’idée de pouvoir et ayant la même valeur métrique, et d’autre part de trouver une autre épithète dans Homère que ce dernier eût pu employer à la place de πτολιπόρθιος; ce qui est impossible. Il en est de même pour les autres exemples que fournit ce critique.

[ back ] 3. Citons ici certains cas, signalés par Franke, où un même nom reçoit deux sens distincts, dont chacun a ses épithètes qui lui sont propres. Ainsi on n’a pas de formules équivalentes dans ὀξὺν Ἄρηα (5 fois), ~ οὖλον Ἄρηα (1 fois), βροτολοιγὸν Ἄρηα (1 fois), πολύδακρυν Ἄρηα (3 fois). Dans la première expression de chacun de ces exemples le nom se rapporte au dieu, dans la deuxième il est employé dans le sens figuré de guerre.

[ back ] 4. Il sera utile, dans ce chapitre, d’indiquer si l’expression se trouve dans l’Iliade ou dans l’Odyssée ou dans les deux poèmes. Nous nous servirons pour cela d’un point qui, placé après le chiffre, indiquera que celui-ci se rapporte à l’Iliade, et, placé avant, indiquera qu’il se rapporte à l’Odyssée. Ainsi μεγάθυμοι Ἀχαιοί (2. 1 fois) indique que cette expression apparaît deux fois dans l’Iliade et une fois dans l’Odyssée. Cette distinction nous indiquera dans ce chapitre, où il s’agit de l’unité du style des poèmes, les ressemblances entre le style de l’Iliade et celui de l’Odyssée. Mais le fait qu’une expression n’apparaîtrait que dans l’un des poèmes ne doit pas être retenu comme indiquant une différence de diction, car il ne faut pas voir une différence de style là où il n’y a qu’une différence de sujet (Cf. A. Shewan, The Lay of Dolon. London, 1912, pp. 37 ss.)

[ back ] 5. C’est de la même façon que le préfixe éolien ἐρι– a survécu à côté du préfixe ionien ἀρι-. Ce n’est pas seulement l’habitude qu’avaient les aèdes d’employer les épithètes où figure le préfixe iolien, mais aussi le sentiment des formules qui contiennent ces épithètes, qui a mis le préfixe iolien à l’abri de la tendance qu’avaient les aèdes à ne garder de la λέξις ξενική que les éléments différant au point de vue métrique des éléments ioniens correspondants. Ainsi ἐρίηρος apparaît surtout dans les formules de fin de vers ἐρίηρος ἑταῖρος (1. fois), ἐρίηρες ἑταῖροι (4. 6 fois) ἐρίηρας ἑταίρους (1. 8 fois). Les autres emplois sont: ἑτάρους ἐρίηρας (σ 47), ἐρίηρον ἀοιδόν (. 3 fois), ἐριαύχενες n’apparaît que dans les formules ἐριαύχενες ἵπποι (1. fois) ἐριαύχενας ἵππους (4. fois); etc., etc.

[ back ] 6. Il en est de Διὶ μῆτιν ἀτάλαντος. Cette épithète qualifie 4 fois Ulysse, dont elle semble viser, de façon spéciale, le caractère rusé: cf. πολύμητις. Mais on la trouve aussi deux fois avec le nom d’Hector dans un vers formule d’interpellation (H 47= Λ 200).

[ back ] 7. C’est aussi l’avis de C. Franke (De epithetis homericis, p. 21, n. 5), critique qui, d’ordinaire, n’hésite pas à accepter le sens particularisé d’une épithète équivalente.

[ back ] 8. Il serait admissible qu’un poète ionien eût emprunté le préfixe ἐρι– à ἐρίηρες, ἐριαύχενες, ἐριούνης, etc.; mais ἀριδείκετος, ἀρίζηλος, ἀρίγνωτος, ἀριπρεπές, etc., indiquerait que les aèdes ioniens semblent avoir pensé plus volontiers à l’autre forme de ce préfixe.

[ back ] 9. The External Evidence for Interpolation in Homer. Oxford, 1925.

[ back ] 10. Il reste notamment le problème des insertions — « les vers et groupes de vers superflus qui sont authentiquement homériques en leur teneur, mais qui sont illégitimement répétés en des endroits où ils n’ont que faire » (V. Bérard, Intr. à l’Odyssée, II, p. 391).